Le généticien, médecin
humaniste et brillant essayiste est mort à l’âge de 76 ans, des suites
d’un cancer incurable, qui s’était récemment aggravé. Retour sur son chemin de
vie exemplaire, jusqu’à la fin.
Ce matin, le loup a desserré ses mâchoires. Axel Kahn, « Axel le
loup », comme il signait ses derniers messages sur les réseaux
sociaux, en référence au bouleversant poème d’Alfred de Vigny, s’en est allé à
l’âge de 76 ans. Se sachant atteint d’un cancer incurable qui s’était
récemment aggravé, le scientifique de renom, humaniste et engagé, avait choisi
la compagnie de cet animal totem pour arpenter « cette dernière phase
de (son) itinéraire ». « Tant que mes mâchoires
pourront mordre le cancer, lui faire mal, protéger les personnes, elles ne se
desserreront pas. Après ma mort, d’autres mordront avec plus de
rage encore », postait-il le 11 mai, au moment où il annonçait le
retrait prochain de ses fonctions de président de la Ligue contre le cancer.
Touché par ses mots,
son humilité, sa sincérité, je veux saluer l’humanisme d’Axel Kahn. Merci
infiniment. FABIEN ROUSSEL, SECRÉTAIRE
NATIONAL DU PCF
Un homme exemplaire jusqu’au bout
Quinze jours plus tard, il publiait une bouleversante lettre d’adieu qui forçait l’admiration : « Je vais mourir, bientôt. Tout traitement à visée curative est désormais sans objet. Reste à raisonnablement atténuer les douleurs. Or, je suis comme j’espérais être : d’une totale sérénité. (…) Il a fallu pour cela que je réussisse à “faire mon devoir”, à assurer le coup, à dédramatiser ma disparition. (…) Alors, souriant et apaisé, je vous dis au revoir, amis. » Exemplaire jusqu’au bout, médiatisant son combat contre le cancer, le médecin aura même fait de sa fin de vie une lutte au service des autres malades.
Dès l’annonce de sa mort, une pluie d’hommages lui a été rendue, tant par
les centaines de témoignages chaleureux des Français sur les réseaux sociaux
que par de grands scientifiques et des responsables politiques. « Axel
Kahn nous a accompagnés, challengés, critiqués, fait bouger et il était
toujours disponible pour travailler avec les équipes de la Ligue contre le
cancer pour préserver la prise en charge et le dépistage des cancers tout au
long de la crise », a salué par exemple le directeur de l’agence
régionale de santé d’Île-de-France, Aurélien Rousseau. De son côté, Ian
Brossat, porte-parole du PCF et maire adjoint de Paris en charge du logement, a
rappelé : « Il y a six semaines, dans une lettre pleine de dignité,
Axel Kahn expliquait son combat et nous disait au revoir. Il nous quitte pour
de bon aujourd’hui, et c’est à notre tour de lui rendre hommage, à lui et à son
intelligence lumineuse. »
Vulgarisateur lumineux, homme d’éthique et de devoir
Randonneur infatigable, travailleur acharné, l’homme de devoir et de
transmission a rempli toutes ses missions, guidé par une profonde bienveillance
et par l’amour d’autrui. Sans relâche, il a œuvré jusqu’au bout, en tant que
président de la Ligue contre le cancer, une responsabilité qu’il assume de
façon bénévole depuis sa nomination en juin 2019. Il a lutté inlassablement
contre la pandémie du Covid, appelant à la solidarité internationale et à la
coordination de la production de vaccins menée sous l’égide de l’OMS, pour les
rendre accessibles à tous. Le médecin n’a pas économisé son énergie pour
peser de tout son poids sur les choix politiques, dont ceux d’Emmanuel Macron
de ne pas reconfiner le pays en début d’année. Il avait d’ailleurs accordé à un grand entretien, le
4 décembre dernier, dans lequel il critiquait certaines
décisions gouvernementales et appelait à des mesures constructives de
prévention et de vaccination pour tous.
« Arrivé au bout du chemin », le généticien, l’essayiste, le vulgarisateur lumineux, l’amoureux de la nature, l’homme d’éthique et de devoir n’a jamais courbé l’échine. Jusqu’au bout, il a mené ses combats. Même « rattrapé par la patrouille » comme il l’écrivait avec humour… les Français l’ont suivi avec émotion, quand il bataillait sans relâche dans les médias, pour que les malades du cancer ne soient pas les grands oubliés de la pandémie . Qu’il soit hospitalisé ou lors de son ultime retour au foyer familial, il a continué à œuvrer pour la Ligue et pour les milliers d’inconnu·es confronté·es à une mort programmée par une maladie incurable.
Généticien et hématologue de renommée internationale
Benjamin d’une fratrie composée de Jean-François, l’aîné devenu
journaliste, et d’Olivier le cadet chimiste, décédé en 1999, Axel Kahn est né
le 5 septembre 1944 dans un petit village du sud de la Touraine, Le
Petit-Pressigny. Il est élevé durant cinq ans par une nourrice avant de
rejoindre ses parents à Paris. Entouré de brillants esprits, un père
philosophe, un frère étudiant en histoire et un autre en chimie, Axel, le petit
dernier, décide ne pas se mettre en concurrence avec ses aînés et choisit par
élimination la médecine, « une science semi-molle ». Il démarre sa
carrière de médecin comme interne des hôpitaux de Paris, avant d’obtenir, en
1974, un doctorat en médecine, avec une spécialité en hématologie, puis un
doctorat ès sciences en 1976. Très vite, il délaisse la pratique de la médecine
pour s’intéresser à la recherche scientifique.
Généticien et hématologue de renommée internationale, ses recherches portent notamment sur le cancer (hémopathies, hépatocarcinomes, cancers coliques), le contrôle des gènes, les maladies génétiques, la thérapie génique et la nutrition. Il publie près de 500 articles originaux dans des revues scientifiques internationales, ainsi qu’une trentaine d’ouvrages de vulgarisation scientifique et de réflexions éthiques et philosophiques, parmi lesquels Être humain, pleinement (Stock, 2016), Jean, un homme hors du temps (Stock, 2017), Chemins (Stock, 2018), l’Éthique dans tous ses états, en collaboration avec Denis Lafay (l’Aube, 2019), ou Et le bien dans tout ça ? (Stock, 2021) .
De prestigieuses responsabilités dans le monde scientifique et académique
Et ce n’est pas tout. Axel Kahn a exercé de nombreuses et prestigieuses
responsabilités dans le monde scientifique et académique : directeur de
recherche à l’Inserm, directeur de l’Institut Cochin, membre du Comité
consultatif national d’éthique, président de l’université Paris-Descartes,
président de la Ligue contre le cancer. Excellent vulgarisateur et pédagogue,
il est connu du grand public pour ses engagements et ses prises de position sur
des questions éthiques et philosophiques ayant trait à la médecine et aux
biotechnologies, notamment contre le clonage thérapeutique et les OGM.
Un homme engagé à gauche
Homme de gauche, ancien intellectuel communiste, il a été vice-président
d’honneur de la Société des amis de l’Humanité de 2003 à 2007. En 2013, il
alerte à plusieurs reprises sur les difficultés financières de l’Humanité et
publie dans nos colonnes son soutien : l’Humanité
En effet, c’est à l’âge de 16 ans, en 1962, en pleine guerre
d’Algérie, que le lycéen parisien rejoint le Parti communiste. Alors qu’il
était très croyant, il perd la foi. Un tournant dans sa vie. Pour un monde plus
juste, il se tourne alors vers la politique et milite pendant six ou sept ans
chez les étudiants, jusqu’à être élu au bureau national de l’Union des
étudiants communistes. Jusqu’en 1977, il sera actif dans les rangs du Parti
communiste français, avant de se rapprocher du Parti socialiste et de
s’impliquer dans l’élection présidentielle aux côtés de Martine Aubry en 2012.
À partir de 2013, Axel Kahn se met à parcourir seul la France à pied. Des
milliers de kilomètres, de montées et de descentes, des genoux douloureux, une
épaule déboîtée. Un voyage vers les autres et soi-même. Marcher n’était pas une
activité pour Axel Kahn, c’était une manière d’être. Il se définissait
d’ailleurs comme un homme qui marche, un chemineau de la vie.
Dans son dernier
ouvrage, Et le bien dans tout ça ?, Axel Kahn prend à nouveau
position sur les grands sujets d’actualité et évoque ses derniers instants avec
son père Jean qui, avant de se donner la mort, lui avait laissé ces quelques
mots : « Sois raisonnable et humain ! » C’était en 1970. Dans
son dernier essai, Axel le loup se demandait s’il avait bien suivi cette
injonction. Exemplaire jusqu’au bout, il l’a suivie à la lettre. Grand
chercheur, un grand humaniste vient de nous quitter. Courageux et engagé,
jusqu’à la fin. »
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