Macron prend un énorme risque en instrumentalisant le bonapartisme.
«L’accès à la vérité
passe par la vérité du malheur», écrivait la philosophe Simone Weil.
Puisque le contemporain fonctionne à «l’événement», du soir au matin comme
fonds de commerce, il est désolant de constater que, parfois, certains lâchent
la bataille d’hommes pour l’ombre en pratiquant le deuil de l’Histoire
majuscule – ce par quoi la politique s’en trouve dégradée. Emmanuel Macron a
donc décidé de commémorer le bicentenaire de la disparition de Napoléon. Un
discours à l’Institut de France, puis un dépôt de gerbe devant le tombeau de
l’empereur déchu, aux Invalides. Appelons les choses par leur nom : il s’agit
d’un hommage officiel. D’où la controverse mémorielle.
Napoléon a été non seulement l’auteur du
coup d’État du 18 brumaire, qui mit fin à la première République et à la
Révolution française, mais aussi celui qui a rétabli l’esclavage dans les colonies
en 1802, marquant la France au fer pour les générations futures. Notre pays
devint le seul à revenir sur son abolition après l’avoir proclamée en 1794. Le
militaire de génie et modernisateur de l’État (Codes civil et pénal, etc.)
restera d’abord et avant tout un despote plus ou moins « éclairé ». Sa
dictature fut une dictature militaire, donc absolue : conquérir, administrer,
surveiller, punir, museler la presse. Après le grand renversement
révolutionnaire qui éclaira les Lumières et le monde, il laissa la France
exsangue, prête à s’offrir, de nouveau, à toutes les oligarchies…
Certes, «commémorer» n’est pas «célébrer».
On s’étonnera néanmoins que le prince-président actuel, concepteur du «en
même temps», ignore royalement les 150 ans de la Commune de Paris
mais décide de porter son attention sur Napoléon, devenant le premier hôte de
l’Élysée à prononcer une allocution depuis… Georges Pompidou. Le successeur du
général en 1969, comme tant d’autres qui cherchèrent à tirer profit du mythe et
de sa construction au fil des siècles, osa alors un parallèle entre le «sauveur» Napoléon
et le «sauveur» de Gaulle, se servant de l’empereur pour
prêcher la fin des antagonismes de classe et vanter l’union sacrée en tant
que «salut public», au nom de la nation. Emmanuel Macron prend
un énorme risque en instrumentalisant le bonapartisme : celui de contraindre la
République à baisser la tête devant son propre souvenir, trahissant le devoir
d’Histoire et le travail de mémoire.
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