La dynamique épidémique
laisse des chances aux variants de se développer, prévient Dominique
Costagliola. Pour l’épidémiologiste, une réouverture des établissements
scolaires exige des mesures visant à diminuer le risque. Entretien.
DOMINIQUE COSTAGLIOLA, Épidémiologiste,
directrice de recherche à l’Inserm
La France doit entamer dès la mi-mai un allègement progressif des
contraintes sanitaires. Pourtant, des inquiétudes persistent sur le niveau de
propagation virale encore élevé, alors que les effets modérés des mesures de
freinage, adoptées il y a quinze jours, commencent seulement à se faire
sentir. Les écoles primaires, qui doivent rouvrir lundi 26 avril,
cristallisent une grande partie des interrogations. Pour Dominique Costagliola,
directrice de recherche à l’Inserm, on a longtemps « nié » que
les établissements scolaires soient des lieux de contamination. Elle plaide
pour la mise en place de vrais dispositifs de lutte contre le virus.
Où en est la situation épidémique en France ?
Dominique Costagliola : Nous sommes actuellement sur un plateau haut,
avec plus de 30 000 nouveaux cas quotidiens mais dans un contexte où on
teste moins, ce qui rend l’interprétation des données un peu plus complexe. Les
données hospitalières, notamment des services de réanimation, montrent
également que nous sommes sur un haut plateau relativement stable. L’aspect
positif, c’est que les courbes n’augmentent plus, contrairement à la tendance
observée depuis janvier. Trois régions restent globalement moins touchées : la
Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine et la Corse. Elles affichent un taux
d’incidence inférieur à 250. Quand on analyse les données région par région, on
voit plutôt une baisse mais dans certaines zones, comme l’Île-de-France ou les
Hauts-de-France, il y a toujours une circulation virale élevée. Au niveau des
départements, la situation est contrastée. Par exemple dans la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur, le département des Alpes-Maritimes est le seul
endroit où la situation s’est nettement améliorée, avec notamment une baisse
notable des hospitalisations en réanimation. Les Bouches-du-Rhône, au
contraire, sont encore dans une phase d’augmentation à l’hôpital et le nombre
de cas a tendance à être élevé. Dans les départements d’Île-de-France et des
Hauts-de-France, il n’y a pas non plus d’amélioration nette, les taux
d’incidence demeurent élevés. Nous sommes donc sur ce haut plateau, avec une
circulation virale importante.
Les mesures de freinage adoptées il y a quinze jours ont-elles fait
effet ?
Dominique Costagliola : Il n’y a plus d’augmentation, elles ont donc
dû avoir un effet, mais pas suffisant pour le moment pour faire baisser les
courbes de l’épidémie. Un travail de la modélisatrice Vittoria Colizza et son
équipe qui évalue l’évolution du taux de croissance des cas, des
hospitalisations et des personnes en réanimation montre une évolution de la
situation. Dans les régions qui ont adopté des mesures restrictives dès le
20 mars, on a des taux de croissance à présent négatifs, même si les
courbes restent élevées et que ce n’est pas une baisse franche. Sous l’effet
des mesures qui sont entrées en vigueur plus récemment, après le week-end de
Pâques, on commence à observer une petite baisse, mais très légère et qui
s’amorce seulement depuis quelques jours.
Faut-il s’inquiéter d’une progression des variants issus d’Afrique du Sud
et du Brésil ?
Dominique Costagliola : Ce qu’il faut tout d’abord comprendre, c’est
que comme le virus circule, il produit de nouveaux variants tous les jours.
Muter, cela fait partie de son évolution naturelle. La plupart de ces variants
n’ont pas d’avantage sélectif. Le variant britannique, lui, en a un : il
contamine plus de monde. En revanche, il n’a pas de propriété particulière pour
contaminer des personnes déjà touchées par des variants précédents. Au
contraire, les variants sud-africain et brésilien sont peut-être un peu moins
transmissibles que le variant britannique (mais toujours plus que la souche
« classique »), toutefois ce sont des variants « d’échappement ». Ils peuvent
réinfecter des personnes touchées par de précédentes souches. En Moselle, le
niveau de circulation du variant sud-africain est plus élevé qu’ailleurs. Mais,
contrairement à ce qui se passe en Afrique du Sud et au Brésil, cette souche
s’y trouve confrontée à celle découverte en Angleterre. C’est cette dernière
qui est en train de devenir majoritaire, alors que le variant sud-africain
régresse de semaine en semaine. Donc, dans une situation où peu de gens ont été
vaccinés ou infectés, c’est le variant britannique qui prend l’ascendant sur
les autres. Par contre, dans une situation inverse, ce sont les autres qui sont
susceptibles, au bout d’un moment, de prendre le dessus grâce à leur capacité
de réinfection. Ces variants venus d’Afrique du Sud et du Brésil sont déjà en France.
Une autre souche mutante, avec des propriétés similaires, pourrait d’ailleurs
tout à fait émerger sur notre territoire, tant que la circulation reste élevée
et que le virus continue de muter. Tant que nous sommes en phase de croissance
de l’immunité collective, notamment grâce à l’avancée de la vaccination, nous
avons tout intérêt à ne pas laisser circuler le virus à un haut niveau.
Que sait-on du rôle des écoles dans les chaînes de transmission ?
Dominique Costagliola : Elles reflètent l’état de circulation du virus
dans la population générale. Il n’y a pas plus de transmission dans les écoles,
mais il n’y en a pas moins non plus ! Il est plus que compréhensible de vouloir
laisser les établissements scolaires ouverts mais, à ce moment-là, il ne faut pas
faire comme s’il ne s’y passait rien. L’étude ComCor de l’Institut Pasteur a
montré une augmentation de l’ordre de 30 % du risque d’être infecté pour
un parent dont l’enfant est scolarisé au collège ou au lycée. Lorsqu’on a
commencé à tester les enfants, on s’est rendu compte qu’ils étaient souvent
positifs eux aussi.
Est-il possible de scolariser les enfants dans des conditions sanitaires
sûres ?
Dominique Costagliola : Il faudrait pouvoir réaliser des mesures de
CO2 pour avoir une idée du niveau d’aération. Dans les endroits où ce n’est pas
possible d’aérer, il faudrait investir dans des systèmes de circulation de
l’air. Cela s’est fait en Allemagne, mais évidemment cela nécessite un
investissement. Et au dernier moment, ce n’est pas faisable. On aurait pu s’en
préoccuper cet été, pendant les vacances de la Toussaint, d’hiver… On aurait
également pu embaucher du personnel de remplacement, afin d’éviter de mélanger
les classes si un enseignant est infecté.
Ces conditions sont-elles actuellement réunies ?
Dominique Costagliola :
Ce que je trouve antinomique, c’est qu’on ne prend aucune mesure réelle de
réduction des risques, en dehors du port du masque. Alors même que l’on se rend
compte qu’on ne peut pas bien aérer dans beaucoup d’endroits. Mais rien n’a été
fait pour prendre des mesures de CO2 dans les établissements, pour faire des
demi-jauges, pour trouver d’autres locaux… On a nié que les écoles puissent
être des lieux de contamination. On aurait dû prendre des mesures visant à
diminuer le risque, parce qu’il est effectivement important que les écoles
soient ouvertes. Mais comment avoir cette doxa sans avoir un plan de
vaccination dans lequel toutes les personnes travaillant au sein des
établissements seraient prioritaires pour les injections ? Cela n’a pas de
sens.
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