Le musée de l’hôtel
Biron, dernière demeure parisienne du sculpteur, reste fermé, mais plusieurs de
ses œuvres majeures sont accessibles parmi les fleurs et les arbres du parc.
« Toi qui entres ici, laisse toute espérance. » C’est dans
un des lieux les plus sereins et les plus beaux de Paris que s’ouvre la
Porte de l’Enfer. La sculpture monumentale de Rodin et de Camille Claudel,
qui en prit sa part, est l’une des œuvres majeures du jardin de l’hôtel Biron,
dernière et superbe demeure du sculpteur. Si elle reste fermée au public, le
jardin lui-même est ouvert et, en ce temps de notre purgatoire dont on ne sait
quand il finira, c’est aussi une porte ouverte sur un petit paradis.
Lire aussi : Madame la ministre, et si on rouvrait les musées ?
Il y a là, dans ce lieu enclos de hauts murs, des roses, des arbres, des
oiseaux et même des lapins. On peut y venir simplement pour flâner, s’asseoir
sur un banc. « La vie est là, simple et tranquille, cette paisible
rumeur-là, vient de la ville », disait Verlaine. On y arrive par le
métro, station Varenne, où trône la formidable statue de Balzac, l’auteur
de la Comédie humaine. Le penseur est assis dans le parc. Le
groupe des Bourgeois de Calais, la corde au cou, vient se
livrer aux assiégeants avec les clés de la ville. Orphée part à la recherche
d’Eurydice. La mort aussi est en ce jardin.
Passage en Enfer
Le grand poème de Dante (1265-1321), la Divine Comédie, écrit
à partir de 1306, est à la fois un récit initiatique, un chant d’amour et un
pamphlet politique. Assisté de Virgile pour son passage en Enfer, le poète y
découvre ses contemporains punis de terribles manières par où ils ont péché.
Sans son compagnon il poursuit son périple par le Purgatoire et arrive au
Paradis, où il retrouve la femme aimée et perdue, Béatrice, au milieu des anges
et près du Seigneur, « et je vis qu’elle avait en auréole les rayons du
soleil qu’elle réfléchissait ». On pourrait gloser à ce propos sur la
dimension profane d’une œuvre où l’objet d’une passion terrestre occupe une
telle place au plus haut des cieux. La Divine Comédie a aussi
une dimension philosophique.
"Un héroïsme sans espoir"
On ne sait s’il faut encore appeler sculpture, en raison de ses dimensions,
l’œuvre de Rodin et Claudel. 6,35 m de haut et 4 m de large. Une
multitude de personnages en proie aux affres de la douleur et du remords. La
Divine Comédie apparaît peu dans l’imaginaire entre le XIVe siècle et le
XIXe. Delacroix est l’un des premiers à pousser la porte avec une œuvre de
jeunesse, la Barque de Dante. On peut y voir une sorte de
manifeste du romantisme. William Bouguereau, peintre académique mais très
talentueux, peint en 1850 Dante et Virgile en leur périple. Gustave Doré, dans
les années 1860, réalise une exceptionnelle série de gravures pour illustrer le
poème. Pourquoi au XIXe siècle ? On peut imaginer le romantisme comme une
réaction à l’esprit bourgeois qui va gagner le siècle, dominé par l’argent et
la naissance de la technique, tels que Baudelaire les stigmatisera dans ses
notes intimes avec son texte Le monde va finir. Mais Rodin y
voit à l’évidence une véritable mine, un trésor de sculptures à venir. Le poète
Rainer Maria Rilke, qui fut le secrétaire de Rodin, écrira : « Ici
l’humanité endure une faim au-delà d’elle-même. Ici des mains se tendent vers
l’éternité. Ici des yeux s’ouvrent, regardent la mort et ne la redoutent pas.
Ici se déploie un héroïsme sans espoir dont la gloire comme un sourire vient et
va, fleurit et se brise comme une rose. Ici sont les tempêtes du désir et les
calmes plats de l’attente. Ici sont des rêves qui deviennent réalité et des
réal ités qui s’évanouissent en rêves »…
Faut-il dire qu’ici il y
a bien matière à méditer, avec peut-être une pensée particulière pour Camille
Claudel, qui allait, des années durant, après la folie de la passion, vivre
l’enfer de l’asile, toutes portes fermées.
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