Aider ceux qui en ont le
moins besoin pour relancer l’activité. Après les milliards versés sans
condition aux entreprises, le ministre de l’Économie relance la théorie fumeuse
du ruissellement et annonce de nouvelles incitations et ristournes en faveur
des plus aisés.
Ça ne ruisselle toujours pas. Malgré quatre années du quinquennat
consacrées à faire gonfler le patrimoine des riches – fin de l’ISF, flat tax,…
– pour qu’il se déverse en consommation et en investissements dans les
entreprises, le flux de ces liquidités reste bouché en haut. Depuis le premier
confinement, les 10 % des Français les plus riches ont amassé plus de
100 milliards d’euros d’épargne. Bruno Le Maire n’en démord pas. En
cheville ouvrière de l’idéologie du ruissellement, le ministre de l’Économie
pense à relancer l’économie française en offrant de nouveaux cadeaux à ceux…
qui en ont le moins besoin. À charge pour ces derniers de sortir leurs magots.
Pour cela, il redouble de largesses. Le régime fiscal de l’assurance-vie
(30 % du patrimoine des 0,1 % les plus aisés de France) est déjà bien
avantageux. L’hôte de Bercy a annoncé ce jeudi la labellisation de 150 fonds
dédiés aux « prêts participatifs ». Il s’agit, pour ceux qui en ont les moyens,
de prêter de l’argent à des entreprises à taux d’intérêt de 5 à 6 %. Une
aubaine, quand les assurances-vie atteignent péniblement 1,5 % de rendement.
D’autant que le dispositif est garanti à 30 % par l’État. Une baisse des
impôts sur les donations et transmissions entre les générations, supérieures à
100 000 euros, est dans les tuyaux. Enfin mardi, Bercy annonçait « une
souplesse pour le paiement de l’impôt sur les sociétés », que seules paient
les entreprises bénéficiaires.
« Ce n’est pas un plan de relance, mais un plan de défiscalisation »
Ces mesures se placent dans la droite ligne de celles du plan de relance,
qui a ouvert un nouvel acte de cadeaux et baisses d’impôts aux entreprises,
sans contreparties. « Ce n’est pas un plan de relance, mais un plan de
défiscalisation, corrige l’économiste Maxime Combes, puisque seuls
0,8 % des fonds iront aux plus modestes et que 20 % sont des cadeaux
fiscaux. Le seul fil conducteur de ce quinquennat demeure la baisse des
impôts des plus riches, du capital et des entreprises », poursuit le
coauteur du rapport « Les corona-profiteurs du CAC 40 », avec
l’Observatoire des multinationales.
« C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de
l’État. Croyez-moi, ce n’est pas tous les jours que vous entendrez un ministre
de l’Économie vous dire : vous avez besoin d’argent, je vous en donne », lançait sous les
applaudissements nourris Bruno Le Maire, en octobre dernier, devant un parterre
de patrons. Il n’a pas trahi sa parole. À la tendance longue – les aides
publiques aux entreprises augmentent de 5 à 6 % par an depuis quinze ans
pour atteindre 150 milliards d’euros avant la pandémie – s’ajoutent
les aides sectorielles, le chômage partiel, les 100 milliards du plan
de relance, les 10 milliards de baisses d’impôts de production, ou encore
les prêts garantis par l’État. Seuls ces derniers sont soumis à une condition :
ne pas détenir de filiale dans un paradis fiscal. Mais la liste française de
ces pays n’a rien de dissuasive, puisqu’elle ne reconnaît comme tels ni le
Luxembourg, ni les Pays-Bas, Malte… Les sociétés bénéficiaires peuvent profiter
en toute quiétude de cette manne d’argent public : depuis le rapport qui a
démontré l’inefficacité globale du C ice, plus aucune étude
d’impact officielle concernant ces aides n’a été commandée.
Le pognon de dingue qui coule sur les premiers de cordée provient d’une
autre source. « En 2020, en pleine crise, les deux tiers des
entreprises du CAC 40 ont versé des dividendes, huit ont même augmenté les
versements à leurs actionnaires par rapport à 2019. On se dirige vers une
saison 2 de dividendes encore plus faste et les plans de suppression de postes
vont continuer », prédit Maxime Combes. Pour lui donner raison, Carrefour
vient de publier des résultats record. « Les meilleurs depuis vingt
ans », s’est réjoui le PDG Alexandre Bompard, qui annoncera prochainement à
quel point il chérira ses actionnaires. De son côté, SFR a officialisé la
suppression de 1 700 postes, mercredi, au lendemain de l’annonce des
4,2 milliards de bénéfices avant impôts réalisés en 2020, tandis qu’une
enquête pour fraude au chômage partiel pèse sur le groupe et que la fortune
personnelle du PDG, Patrick Drahi, a doublé entre mars et décembre 2020. « Alors
que l’hôpital est à l’agonie, l’argent public sert à rémunérer les actionnaires
et à payer des PSE », déplore l’économiste Maxime Combes.
La fortune de Bernard Arnault a doublé pendant la crise
« Ces aides publiques aux plus riches ont fait augmenter la dette et
celle-ci commence à être instrumentalisée », alerte de son côté Raphaël Pradeau,
porte-parole d’Attac. Mardi encore, au Sénat, le ministre de l’Économie
assurait : « La France remboursera sa dette publique », et il
excluait « toute augmentation d’impôt ». Bercy évalue la dette
liée au Covid à environ 215 milliards d’euros. Pour la résorber, une
nouvelle commission présidée par l’économiste très orthodoxe Jean Arthuis est
chargée de plancher sur de nouvelles réformes dites structurelles… « Le
gouvernement réalise des centaines de millions d’euros d’économies sur le dos
des allocataires des APL et 1,3 milliard sur celui des chômeurs avec la
réforme de l’assurance-chômage. La fortune de Bernard Arnault a doublé pendant
la crise quand un tiers des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Ce
gouvernement prend aux pauvres pour donner aux riches », résume le militant
associatif.
Face à l’explosion des
inégalités, même un patron comme Louis Gallois demandait le mois dernier une
taxe exceptionnelle sur les plus fortunés. Pour Maxime Combes, une telle mesure
risque de laisser entendre que seuls ces derniers mois de crise expliquent les
inégalités de richesse. « Imposons des conditions sociales et écologiques
aux aides publiques et rétablissons une vraie progressivité de la fiscalité.
Après, pourquoi pas, taxons ceux qui se sont engraissés pendant la pandémie »,
tranche l’économiste. Raphaël Pradeau se souvient : « Rappelons-nous le
principal message des gilets jaunes : rendez l’ISF d’abord. »
Des taxes exceptionnelles sur les plus fortunés
En matière de taxe Covid, l’Argentine est
la pionnière. Le pays a voté fin 2020 un prélèvement unique de 2 % sur les
10 000 ménages les plus riches du pays. L’argent récolté servira à
financer des aides sociales, les PME, les aides aux étudiants ou encore l’achat
de matériel médical. Ce n’est pas le seul exemple de l’histoire. La crise
financière de 2008 ou les deux guerres mondiales ont entraîné l’adoption de ce
même type de mesures dans de nombreux pays, y compris en France. En 1945, une
taxe progressive de 2 % à 20 % sur les patrimoines et de 5 % à
100 % sur les profits de guerre a rapporté l’équivalent de 5 % du
PIB.
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