vendredi 26 mars 2021

Castex, Véran et les conférences de « presque » qui éreintent l’opinion



Cyprien Caddeo

A l’image des points presse rituels du jeudi soir, l’exécutif a fait le choix de la com permanente dans sa gestion de crise, quitte à parler pour ne rien dire ou trop vite, se dédire et finir par lasser. L’important, c’est de tenir (les feux de) la rampe.

C’est devenu un rituel. Chaque jeudi soir, à 18 heures, l’exécutif tient une conférence de presse pour faire le point sur l’évolution de la pandémie de coronavirus, diffusée en direct sur à peu près toutes les chaînes. C’est lors de ce rendez-vous hebdomadaire que Jean Castex a annoncé, le 18 mars, un reconfinement dans 16 départements, dont ceux d’Île-de-France et des Hauts-de-France.

Semaine après semaine, c’est là que les Français qui ont le courage de se coltiner cet exercice aride s’enquièrent des mesures sanitaires à venir et sont abreuvés de ce sabir scientifique qui nous était encore inconnu il y a un an – taux d’incidence départemental, taux de positivité des tests, niveau de saturation des services de réanimation –, données et graphiques de Santé publique France à l’appui.

C’est là aussi que l’exécutif, qui a pris le pari de communiquer partout, tout le temps, peut agacer, tantôt en n’annonçant rien de neuf, tantôt en se dédisant. « Il y a une attente légitime des Français, un besoin d’information », justifie-t-on à Matignon. « Depuis le début, il n’y a aucune prudence dans la façon de gérer la communication et, forcément, ça a des effets délétères sur la confiance », répond Antoine Bristielle. « Communiquer tout le temps expose à de nombreux déjugements : or il n’y a rien de pire pour la crédibilité qu’un ministre qui dit quelque chose et qui est obligé de se déjuger le lendemain, et puis qui change à nouveau d’avis le surlendemain », poursuit le chercheur en sciences politiques à la Fondation Jean-Jaurès, auteur d’un livre sur la crise de confiance institutionnelle.

Une impressionnante et fébrile machinerie

Éléments clés de la stratégie gouvernementale, les conférences de presse du jeudi mettent pourtant en branle une impressionnante machinerie, qui mobilise des centaines d’agents dans les ministères en moins de 48 heures. Le mercredi matin, en amont du Conseil des ministres qui se tient vers midi, un conseil de défense est réuni pour décider des éventuelles nouvelles mesures. Une fois les décisions arrêtées, le Centre interministériel de crise (CIC) prend le relais. Cet organe, dont les bureaux sont nichés au ministère de l’Intérieur, est en fait piloté par Nicolas Revel, le directeur de cabinet du premier ministre, Jean Castex. À sa charge de traduire les décisions du conseil de défense en mesures concrètes, en rédigeant des décrets, par exemple. Puis vient le temps de la communication. Un vaste ballet s’engage pour coordonner, dans la nuit du mercredi au jeudi, les cabinets des différents ministères appelés à s’exprimer lors de la conférence de presse. Des bataillons de communicants s’attellent à caler les éléments de langage, les messages à marteler et à anticiper les questions des journalistes, modifiant parfois les notes transmises aux ministres jusqu’au dernier moment, à quelques minutes de la prise de parole.

Sacrée semaine !

La montagne accouche parfois d’une souris. En février, peu de mesures fortes ont justifié la tenue de telles conférences, qui suscitent forcément des attentes de la part de la population. Les différentes prises de parole de Jean Castex ont davantage ressemblé à une série d’avertissements, répétés chaque semaine. Sans qu’aucun horizon de sortie de crise soit donné, ce qui aggrave le sentiment de lassitude. Ainsi, le 4 février, le premier ministre prévient : « Le confinement n’est pas nécessaire, mais en cas de nécessité, nous n’hésiterons pas ! » Le 18 février, Olivier Véran prend le relais et appelle à « ne pas relâcher sa vigilance ». Puis, le 25 février, Castex reprend la main et avertit encore : « Le confinement est un levier auquel nous n’aurons recours que si nous y sommes contraints. » Enfin, le 4 mars, le premier ministre se répète : « Limitez vos interactions sociales », il faut « tenir ensemble » pour éviter un « reconfinement qui n’est pas inéluctable ». Il faudra attendre le 18 mars pour que deux régions soient en effet reconfinées, mais en gardant les écoles ouvertes, tout en maintenant un couvre-feu repoussé à 19 heures. Un mix de mesures bien confus pour nombre de citoyens.

En sus, les couacs s’empilent. Pour cause, la conférence de presse du jeudi ne constitue pas le seul espace de communication pour l’exécutif. Pas un jour ne se passe sans qu’un ministre ou un secrétaire d’État fasse une matinale radio ou un plateau télé. Résultat : ce qui a été dit en conférence de presse peut très bien être démenti quelques jours plus tard. Dernier fiasco en date : le vaccin AstraZeneca. Fallait-il suspendre le sérum suédo-britannique à la suite de complications sur quelques patients ? « Non, le bénéfice du vaccin reste supérieur au risque », répondait Olivier Véran, en conférence de presse, le 11 mars. « Nous ne disposons pas d’éléments pour suspendre la vaccination », confirme le 14 mars Jean Castex sur le réseau social Twitch, preuve que, en matière de communication sanitaire, le gouvernement est décidément partout. Puis, le lendemain, Emmanuel Macron annonce sa décision de suspendre AstraZeneca par « principe de précaution » à l’occasion… d’un sommet franco-espagnol à Montauban (Tarn-et-Garonne). Tout ça pour que, au final, le vaccin soit réhabilité dès le jeudi 18 mars, en conférence de presse. Sacrée semaine.

Le sparadrap du mensonge initial

À Matignon, on minimise les effets d’une telle séquence sur la vaccination : « Il y aurait plus d’effets délétères si les Français venaient à penser qu’on n’est pas attentifs à tous les signaux et qu’on ne prend pas aux sérieux les moindres alertes. » Mais le cafouillage n’est pas sans rappeler la question des masques, contre-indiqués au moment de gérer la pénurie puis devenus soudainement obligatoires une fois les stocks reconstitués. « Le fait d’avoir des injonctions contradictoires érode la confiance non seulement dans le gouvernement, mais dans les institutions politiques en général, confirme Antoine Bristielle. Pour la crédibilité de la parole publique, on doit avoir l’impression qu’on peut faire confiance à la parole donnée, que ce n’est pas juste un coup de communication et qu’on peut s’y tenir. »

Faut-il que l’exécutif parle moins ? « On ne voit pas vraiment quelle pourrait être la solution alternative, s’agace une source gouvernementale. On pilote, en toute humilité, en fonction de l’état des connaissances à un instant T, et on n’a jamais prétendu que ce qu’on dit est gravé dans le marbre. Au contraire, on a toujours dit que cela correspond à l’évolution de l’épidémie et que notre réponse peut être ajustée. » Mais c’est bien là tout le paradoxe. Là où la gestion du virus demande des ajustements permanents, la parole publique, elle, requiert une certaine stabilité, sans quoi elle perd tout crédit.

 

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