A l’image des points
presse rituels du jeudi soir, l’exécutif a fait le choix de la com permanente
dans sa gestion de crise, quitte à parler pour ne rien dire ou trop vite, se
dédire et finir par lasser. L’important, c’est de tenir (les feux de) la rampe.
C’est devenu un rituel. Chaque jeudi soir, à 18 heures, l’exécutif
tient une conférence de presse pour faire le point sur l’évolution de la
pandémie de coronavirus, diffusée en direct sur à peu près toutes les chaînes.
C’est lors de ce rendez-vous hebdomadaire que Jean Castex a annoncé, le
18 mars, un reconfinement dans 16 départements, dont ceux
d’Île-de-France et des Hauts-de-France.
Semaine après semaine, c’est là que les Français qui ont le courage de se
coltiner cet exercice aride s’enquièrent des mesures sanitaires à venir et sont
abreuvés de ce sabir scientifique qui nous était encore inconnu il y a un an –
taux d’incidence départemental, taux de positivité des tests, niveau de
saturation des services de réanimation –, données et graphiques de Santé publique
France à l’appui.
C’est là aussi que l’exécutif, qui a pris le pari de communiquer partout,
tout le temps, peut agacer, tantôt en n’annonçant rien de neuf, tantôt en se
dédisant. « Il y a une attente légitime des Français, un besoin d’information »,
justifie-t-on à Matignon. « Depuis le début, il n’y a aucune prudence dans la
façon de gérer la communication et, forcément, ça a des effets délétères sur la
confiance », répond Antoine Bristielle. « Communiquer tout le temps expose à de
nombreux déjugements : or il n’y a rien de pire pour la crédibilité qu’un
ministre qui dit quelque chose et qui est obligé de se déjuger le lendemain, et
puis qui change à nouveau d’avis le surlendemain », poursuit le chercheur en
sciences politiques à la Fondation Jean-Jaurès, auteur d’un livre sur la crise
de confiance institutionnelle.
Une impressionnante et fébrile machinerie
Éléments clés de la stratégie gouvernementale, les conférences de presse du
jeudi mettent pourtant en branle une impressionnante machinerie, qui mobilise
des centaines d’agents dans les ministères en moins de 48 heures. Le
mercredi matin, en amont du Conseil des ministres qui se tient vers midi, un
conseil de défense est réuni pour décider des éventuelles nouvelles mesures.
Une fois les décisions arrêtées, le Centre interministériel de crise (CIC)
prend le relais. Cet organe, dont les bureaux sont nichés au ministère de
l’Intérieur, est en fait piloté par Nicolas Revel, le directeur de cabinet du
premier ministre, Jean Castex. À sa charge de traduire les décisions du conseil
de défense en mesures concrètes, en rédigeant des décrets, par exemple. Puis
vient le temps de la communication. Un vaste ballet s’engage pour coordonner,
dans la nuit du mercredi au jeudi, les cabinets des différents ministères appelés
à s’exprimer lors de la conférence de presse. Des bataillons de communicants
s’attellent à caler les éléments de langage, les messages à marteler et à
anticiper les questions des journalistes, modifiant parfois les notes
transmises aux ministres jusqu’au dernier moment, à quelques minutes de la
prise de parole.
Sacrée semaine !
La montagne accouche parfois d’une souris. En février, peu de mesures
fortes ont justifié la tenue de telles conférences, qui suscitent forcément des
attentes de la part de la population. Les différentes prises de parole de Jean
Castex ont davantage ressemblé à une série d’avertissements, répétés chaque
semaine. Sans qu’aucun horizon de sortie de crise soit donné, ce qui aggrave le
sentiment de lassitude. Ainsi, le 4 février, le premier ministre
prévient : « Le confinement n’est pas nécessaire, mais en cas de nécessité,
nous n’hésiterons pas ! » Le 18 février, Olivier Véran prend le relais et
appelle à « ne pas relâcher sa vigilance ». Puis, le 25 février, Castex reprend
la main et avertit encore : « Le confinement est un levier auquel nous n’aurons
recours que si nous y sommes contraints. » Enfin, le 4 mars, le premier
ministre se répète : « Limitez vos interactions sociales », il faut « tenir
ensemble » pour éviter un « reconfinement qui n’est pas inéluctable ». Il
faudra attendre le 18 mars pour que deux régions soient en effet
reconfinées, mais en gardant les écoles ouvertes, tout en maintenant un
couvre-feu repoussé à 19 heures. Un mix de mesures bien confus pour nombre
de citoyens.
En sus, les couacs s’empilent. Pour cause, la conférence de presse du jeudi
ne constitue pas le seul espace de communication pour l’exécutif. Pas un jour
ne se passe sans qu’un ministre ou un secrétaire d’État fasse une matinale
radio ou un plateau télé. Résultat : ce qui a été dit en conférence de presse
peut très bien être démenti quelques jours plus tard. Dernier fiasco en date :
le vaccin AstraZeneca. Fallait-il suspendre le sérum suédo-britannique à la
suite de complications sur quelques patients ? « Non, le bénéfice du vaccin
reste supérieur au risque », répondait Olivier Véran, en conférence de presse,
le 11 mars. « Nous ne disposons pas d’éléments pour suspendre la
vaccination », confirme le 14 mars Jean Castex sur le réseau social
Twitch, preuve que, en matière de communication sanitaire, le gouvernement est
décidément partout. Puis, le lendemain, Emmanuel Macron annonce sa décision de
suspendre AstraZeneca par « principe de précaution » à l’occasion… d’un sommet
franco-espagnol à Montauban (Tarn-et-Garonne). Tout ça pour que, au final, le
vaccin soit réhabilité dès le jeudi 18 mars, en conférence de presse.
Sacrée semaine.
Le sparadrap du mensonge initial
À Matignon, on minimise les effets d’une telle séquence sur la
vaccination : « Il y aurait plus d’effets délétères si les Français venaient à
penser qu’on n’est pas attentifs à tous les signaux et qu’on ne prend pas aux
sérieux les moindres alertes. » Mais le cafouillage n’est pas sans rappeler la
question des masques, contre-indiqués au moment de gérer la pénurie puis
devenus soudainement obligatoires une fois les stocks reconstitués. « Le fait
d’avoir des injonctions contradictoires érode la confiance non seulement dans
le gouvernement, mais dans les institutions politiques en général, confirme
Antoine Bristielle. Pour la crédibilité de la parole publique, on doit avoir
l’impression qu’on peut faire confiance à la parole donnée, que ce n’est pas
juste un coup de communication et qu’on peut s’y tenir. »
Faut-il que l’exécutif
parle moins ? « On ne voit pas vraiment quelle pourrait être la solution
alternative, s’agace une source gouvernementale. On pilote, en toute humilité,
en fonction de l’état des connaissances à un instant T, et on n’a jamais prétendu
que ce qu’on dit est gravé dans le marbre. Au contraire, on a toujours dit que
cela correspond à l’évolution de l’épidémie et que notre réponse peut être
ajustée. » Mais c’est bien là tout le paradoxe. Là où la gestion du virus
demande des ajustements permanents, la parole publique, elle, requiert une
certaine stabilité, sans quoi elle perd tout crédit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire