Une partie de la droite
lui crache dessus, Emmanuel Macron l’ignore, tandis que la gauche s’honore de
s’inscrire dans ses pas. Cent cinquante ans après, l’élan et la vitalité de
cette révolution interrogent toujours le monde.
Impérissable Commune de Paris ! Réprimée par le sang et les déportations en
1871, insultée jusqu’à nos jours, la révolution de 1871 inspire encore espoir à
gauche et effroi à droite. Mais qu’a-t-elle donc réalisé pour être à ce point
admirée et honnie en 2021 ? Il y a cent cinquante ans, le 18 mars 1871,
les Parisiens se révoltent. Ils refusent la capitulation devant les Prussiens,
dénoncent les projets de rétablissement monarchique de l’Assemblée de
Versailles, et empêchent le gouvernement d’Adolphe Thiers de s’emparer des
canons de la Garde nationale. La suite ? Soixante-douze jours d’innovations et
d’expérimentations politiques qui ont marqué l’histoire du mouvement ouvrier et
féministe à l’échelle internationale. La Commune de Paris proclame la
séparation de l’Église et de l’État, l’instruction gratuite et laïque, la
réquisition des logements vacants et des ateliers de production, en plus de la
citoyenneté pour les étrangers. Elle brûle aussi la guillotine, et ébauche les
premières pages d’un droit du travail, visant à l’égalité salariale entre les
hommes et les femmes.
Plus de 20 000 communards tués par les versaillais
Où est donc le problème ? « L es incendies de la
Commune ont ravagé des pans entiers de la capitale ! » assène l’élu
LR Rudolph Granier en plein Conseil de Paris. « Pourrez-vous encore
dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de
brûler les Tuileries, le Palais-Royal et notre Hôtel de Ville ? » poursuit
Antoine Beauquier, un proche de Christine Boutin. Les deux conseillers de
droite s’indignent des commémorations organisées par la Ville de Paris. Quel
toupet ! Ils oublient bien vite que c’est Adolphe Thiers qui a fait bombarder
la capitale, et que les terribles incendies imputés à la Commune ont lieu en
plein chaos, pendant la « semaine sanglante », sans l’aval de son gouvernement.
Ils ne sont pas seuls à cracher sur la Commune. L’ambassadeur de France en
Ukraine, Étienne de Poncins, la qualifie de « préfiguration du
totalitarisme communiste soviétique par la terreur et les massacres accomplis ». Quel
rapport, pourtant, entre l’exécution d’une centaine d’otages, là encore contre
l’avis des dirigeants de la Commune et en plein désastre, et les purges
staliniennes ? Sans parler des faits : fusiller les otages était une faute,
mais que dire des 20 000 communards tués par les versaillais, lors de
combats, puis des exécutions sommaires par milliers ?
« L’instauration d’une République démocratique et sociale »
« Le véritable crime de la Commune, c’est d’avoir commencé à bâtir une
société qui ne repose plus sur la quête effrénée du profit et s’intéresse
d’abord au bonheur des uns et des autres. Tout ce qui appartient à
l’intelligence populaire et au partage des richesses est quelque chose qui fait
horreur aux puissants », mesure l’écrivain Gérard Mordillat. « La
Commune a défendu l’instauration d’une véritable République démocratique et
sociale. Il s’agissait d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le
peuple, avec une très importante représentation ouvrière. C’est cela qu’on lui
a fait payer, et c’est pour cela qu’elle est encore insultée ou passée sous
silence », insiste Fabien Roussel. Le secrétaire national du PCF
estime que « ceux qui confisquent le pouvoir aujourd’hui ne veulent
surtout pas que nous nous rappelions des grandes avancées de la Commune, ni
qu’elle a été réprimée dans le sang pour son audace, comme rarement
dans notre histoire ». « L’oligarchie a toujours peur du peuple,
encore plus s’il prouve concrètement qu’il peut s’organiser démocratiquement et
jeter les bases d’une société socialiste », poursuit Alexis Corbière.
L’insoumis ajoute : « Pour délégitimer la Commune, la question de la
violence lui est toujours jetée à la face, alors que c’est elle qui a été
massacrée. »
L’affrontement mémoriel et idéologique est tel que l’historienne Mathilde
Larrère considère que « la Commune n’est pas morte, mais Versailles non
plus ». En accueillant Vladimir Poutine à Versailles, en 2018, Emmanuel
Macron déclarait d’ailleurs : « C’est là où la République s’était
retranchée quand elle éta it menacée. » « Il montre
clairement qu’il se sent beaucoup plus proche de la République conservatrice et
autoritaire de Thiers que de la République sociale de Louise Michel », dénonce
Fabien Roussel. Et Macron n’est pas le seul. Des gilets jaunes se revendiquent
de la Commune de Paris ? La réponse du préfet de police de Paris, Didier Lallement,
fait froid dans le dos : « Pour se prendre pour Jules Vallès, il faut
avoir son Galliffet », lance-t-il, se comparant toute honte bue à l’un
des massacreurs de la Commune. « Certains sont surpris qu’Emmanuel
Macron ne commémore pas la Commune, com me s’il était au-dessus de
la mêlée. Mais c’est bien parce qu’il est au milieu de la mêlée qu’il ne s’en
empare pas et la passe sous silence. Les conflits sociaux et politiques qu’il
provoque sont trop présents pour qu’il puisse jouer les arbitres », développe
Mathilde Larrère. L’entourage du président de la République précise que, s’il
s’apprête à célébrer Napoléon Ier, le chef de l’État ne prévoit pas de
prononcer un mot sur la Commune…
Roger Martelli,
coprésident de l’association des Amies et Amis de la Commune de Paris, se
désole cette régression : « La Commune est un objet conflictuel, un
objet chaud, mais le retour du discours versaillais est inacceptable. La France
ne mérite pas que ses autorités les plus élevées tournent le dos à cet
événement, en ignorant les progrès de l’historiographie, qui tendent à
revaloriser les combats de la Commune et à poser un regard raisonné, lucide et
non caricatural, sur ce moment clé de l’histoire. » L’historien
appelle à ce que tous les héritiers de la Commune, syndicats, associations et
partis de gauche, se retrouvent de « manière spectaculaire et
rassemblée » pour la montée au mur des Fédérés, le 29 mai.
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