L’ONG établit des « atteintes à la liberté de réunion pacifique »
lors de la Marche des libertés du 12 décembre 2020, contre la loi de
« sécurité globale ». Par ailleurs une trentaine de plaintes ont été déposées.
Le parcours était déclaré auprès de la
préfecture. Cela n’a pas empêché la répression de s’abattre sur la
manifestation parisienne du 12 décembre dernier contre la loi de
« sécurité globale », où plus de 5 000 personnes défilaient. Dès les
premiers instants, le cortège est encadré de près par un dispositif policier
massif, une sorte de nasse mobile. Alors que le défilé vient de partir, la
police charge le cortège à plusieurs reprises. Les coups de matraque pleuvent,
les boucliers compressent la foule et de nombreux manifestants pacifiques sont
extraits et arrêtés.
En un après-midi, 142 personnes sont
interpellées : 100 de plus que lors du rassemblement précédent, où les forces
de l’ordre avaient été dépassées par les feux de poubelle. Les opérations sont
encore en cours lorsque Gérald Darmanin se félicite de l’arrestation de
dizaines de « casseurs » et d’ « individus
ultraviolents », des éléments de langage aussitôt repris par BFMTV. Deux
mois plus tard, Amnesty International publie son analyse des événements. L’ONG
de défense des droits humains dénonce des « atteintes au droit, à la
liberté et à la sûreté ». De leur côté, une trentaine de manifestants
comptent sur leurs dépôts de plainte pour faire condamner les responsables de
cette stratégie de maintien de l’ordre jugée abusive.
Loïc, militant de l’association Attac, est
l’un des manifestants arrêtés ce jour-là. À 27 ans, l’ingénieur participe
aux Marches des libertés depuis plusieurs mois pour protester contre la loi de
« sécurité globale » et plus largement contre les « méthodes de plus en
plus autoritaires employées par l’État ». Il est arrêté lors d’une charge
de police, peu avant la fin de la manifestation. « J’étais plutôt
détendu, je n’avais rien à me reprocher. Ils m’ont sûrement attrapé parce que
j’étais celui qui courait le moins vite », témoigne-t-il aujourd’hui
auprès de l’Humanité. Après 24 heures de garde à vue, il est
relâché sans que rien ne soit retenu contre lui.
Alors que le militant assure être venu
pacifiquement, il apprend au commissariat que la police lui reproche sa « participation
à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Un
motif flou, qui permet à la police d’interpeller préventivement les
manifestants « sans qu’il leur soit reproché de détenir des objets
dangereux », affirme Amnesty International. Selon les recherches
menées par les rédacteurs de l’enquête, les témoins présents et les vidéos
récoltées, le rassemblement ne connaissait pourtant pas de débordements.
Entrave à un droit fondamental, celui de choisir sa défense
Pendant sa garde à vue, Loïc est enfermé
dans une cellule de 10 m2 avec quatre autres personnes. Il peine à
comprendre quelles accusations pèsent contre lui, et à joindre son avocat. Une
entrave à un autre droit fondamental, celui de choisir sa défense, qui ne
surprend pas le pénaliste Arié Alimi : « Ça arrive malheureusement bien
souvent les jours de manifestation. Le soir même, j’arrive au commissariat vers
23 heures et je me rends compte que huit personnes m’avaient demandé de
les défendre… et que je n’avais pas été prévenu. » En janvier, l’avocat
a soutenu la plainte de Loïc ainsi que de sept autres interpellés. Ils
reprochent au préfet de police d’avoir ordonné en personne des « interpellations
sans raison dans le cadre de bonds offensifs, eux-mêmes non légitimes (…) en
complicité avec le procureur de la République » de Paris. « On
a suffisamment d’éléments pour affirmer que ces interpellations étaient
abusives, décrit Arié Alimi. Les policiers devaient avoir des
éléments probants pour interpeller, ils n’en avaient pas. Beaucoup de personnes
ont été empêchées de manifester pour rien. »
Dans le cas d’Alexis Baudelin, il semble
qu’un simple port de drapeau en manifestation peut suffire à justifier une
interpellation. « J’ai à peine eu le temps de voir le début de la
manifestation que la Brav (brigade de répression de l’action violente
– NDLR) se jetait sur moi », se souvient-il. Arrêté en début
d’après-midi, cet avocat venu manifester en tant que citoyen a été retenu cinq
heures par la police, sans qu’aucun fait ne lui soit reproché. « Ils ne
m’ont pas expliqué pourquoi j’étais interpellé. Je suis resté privé de liberté
cinq heures, menotté, sans qu’on me place en garde à vue », raconte le
trentenaire. « Dans le bus où j’ai été emmené, une vingtaine d’autres
manifestants étaient là sans savoir pourquoi. J’ai dû faire de la consultation
juridique alors que j’étais moi-même interpellé », ironise-t-il.
Comme Loïc, il compte sur la plainte
déposée contre le préfet Didier Lallement et X pour faire reconnaître une « détention
arbitraire » et le traitement illégal qu’il a subi de la part de la
police. Parmi les manquements, il évoque le menottage imposé aux interpellés
pendant plusieurs heures, alors qu’ils n’étaient pas dangereux et ne risquaient
pas de fuir. « Un usage illégal de la force, au regard du droit
international comme du droit français », fait remarquer Amnesty dans
son rapport.
Des arrestations sans poursuites lourdes de conséquences
En plus des entraves à la liberté de
manifester, des violences et de la violation de droits de la défense, l’ONG
relève que ces arrestations sans poursuites ne sont pas sans conséquences sur
l’état d’esprit des manifestants arrêtés, ou même sur leurs droits. Des
« sanctions » ont ainsi été prononcées par le parquet à l’encontre de plusieurs
gardés à vue, en plus d’un rappel à la loi. Des interdictions de paraître ou de
manifester à Paris pour trois à six mois, sans être passé devant un juge, et
sans recours possible. « Des sanctions prononcées par des délégués du
procureur qui ont eu envie de rendre justice eux-mêmes », résume
Xavier Sauvignet, avocat membre de la coordination antirépression parisienne.
Aux côtés de 17 confrères, il a déposé plainte contre X pour
26 manifestants, arrêtés puis relâchés sans poursuite. Les motifs,
atteinte à la liberté individuelle et entrave à la liberté de manifestation
assortie de violences, sont passibles de sept et trois ans d’emprisonnement.
« Il s’agit de reconnaître que les
personnes qui ont été arrêtées sont des victimes, ajoute Xavier Sauvignet. Elles ont été
choquées, certaines ont subi de sérieuses répercussions psychologiques. »
Pour l’avocat habitué à la défense de manifestants, les arrestations du
12 décembre sont particulièrement marquantes tant elles sont massives et
infondées : « Ce n’est pas nouveau que des gens soient arrêtés en
manifestation. Mais pas à cette échelle, sans le moindre élément qui permette
de soupçonner la commission d’une infraction. » Pour éviter que de
telles situations se reproduisent, Amnesty International rappelle au ministère
de l’Intérieur son devoir de faire appliquer le droit : « Que des
instructions claires soient transmises aux forces de l’ordre, rappelant qu’une
personne ne peut être placée en garde à vue que lorsqu’il existe un motif
raisonnable de penser qu’elle a commis une infraction pénale, et que la garde à
vue est nécessaire et proportionnée. » Elle recommande également aux
autorités de « ne pas exprimer des opinions sur l’existence de délits
alors que les interpellations sont en cours », et demande au Parlement
que les lois qui servent d’outils répressifs contre les manifestants soient
clarifiées.
34
heures de garde à vue pour avoir filmé les violences. Le reporter
Adrien AdcaZz couvrait la manifestation du 12 décembre pour un média
en ligne. « J’étais au cœur des charges, je filmais les manifestants
violentés quand j’ai été attrapé par-derrière. J’ai crié que j’étais
journaliste, ils m’ont dit de le prouver mais je n’ai pas eu le temps de
répondre que j’étais traîné au sol », explique-t-il. Il ne parvient à récupérer
son matériel qu’un mois et demi après sa garde à vue. « Les cartes mémoire sur
lesquelles j’avais filmé sont inutilisables. L’une d’elles semble avoir été
abîmée par un couteau », constate-t-il.
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