Le second tour de la présidentielle opposera, le
11 avril, l’économiste Andrés Arauz, soutenu par l’ex-président socialiste
Rafael Correa, à l’écologiste Yaku Pérez, appuyé par une partie du mouvement
indigène. Le banquier Guillermo Lasso, représentant d’une droite ultralibérale
et conservatrice, est disqualifié.
Jusqu’à la clôture des urnes, tous les
sondages prédisaient, pour le second tour de l’élection présidentielle, un duel
classique opposant le jeune économiste Andrés Arauz, soutenu par l’ex-président
socialiste Rafael Correa, au banquier Guillermo Lasso, représentant d’une
droite ultralibérale et conservatrice, membre de l’Opus Dei. L’Équateur a
finalement connu, dimanche soir, un séisme politique, avec la qualification de
justesse du candidat écologiste Yaku Pérez, appuyé par une bonne partie des
troupes de l’influente Confédération des nationalités indigènes d’Équateur
(Conaie), fer de lance du soulèvement d’octobre 2019 contre le pacte
d’austérité conclu entre le FMI et le président Lenin Moreno.
Guillermo Lasso faisait déjà ses calculs
Avec près de 98 % des procès-verbaux
compilés, lundi matin, Andrés Arauz se plaçait en tête du scrutin, avec
32,2 % des suffrages, suivi de Yaku Pérez (19,8 %), au coude à coude
avec Guillermo Lasso (19,6 %). Fait inattendu, le social-démocrate Xavier
Hervas, candidat de la Gauche démocratique, réalise une nette percée, avec
16,02 % des voix. Drôle d’équation électorale, qui pourrait bien donner
lieu à des contestations et des recours comme à des marchandages interlopes :
dès dimanche soir, en jurant, depuis Guayaquil, la capitale économique, de ne
reconnaître les résultats que sur la base de 100 % des bulletins
comptabilisés, Guillermo Lasso, candidat pour la troisième fois, faisait déjà
ses calculs : « Je félicite les 65 % des électeurs équatoriens
opposés au retour du modèle totalitaire et populiste qui a échoué partout où il
s’est appliqué, à commencer par le Venezuela », a-t-il lancé, dans un appel
clair à constituer, au second tour, un large front « anticorréiste ». Il avait
déjà promis, à la veille du scrutin, d’appeler à voter pour Yaku Pérez, « une
personne précieuse », si celui-ci devait accéder au second tour.
Yaku Pérez fédére son camp et séduit un nouvel électorat
En dépit des conflits et rivalités
traversant la Conaie et malgré la pauvreté programmatique de sa campagne, le
candidat écologiste est parvenu à fédérer son camp, tout en séduisant un
électorat jeune, urbain, sensible aux questions environnementales et aux défis
posés par le changement climatique, qui fait déjà sentir ses désastreux effets
dans les Andes – fonte des glaciers tropicaux, assèchement de sources et de
lacs d’altitude. Avec des mots durs pour les choix extractivistes de l’ère
Correa, qui entretenait des relations très conflictuelles avec les communautés
indigènes opposées aux projets pétroliers et miniers, il promet, sans revenir
sur les concessions existantes, de geler la frontière de l’exploitation minière
et pétrolière.
« Ce n’est pas un hasard s’il réalise ses
meilleurs scores dans la sierra équatorienne et en Amazonie, remarque Cecilia Velasquez, la coordinatrice de son
parti, Pachakutik. Notre lutte, notre projet politique, le cheminement
du mouvement indigène consistent à défendre notre grande maison, la mère
nature, la Pachamama. C’est pourquoi nous nous opposons à l’exploitation
minière et pétrolière là où elle menace de polluer les eaux, les zones humides.
La Constitution nous offre un point d’appui : elle prévoit la consultation des
populations sur tout projet d’exploitation minière. Les contrats qui ne
respectent pas de strictes conditions quant à la protection de l’environnement
doivent être révisés. »
Le patron nous a demandé de voter pour Lasso et de lui
envoyer la photo du bulletin de vote, sous peine d’être licencié. LUIS QUILUMBAQIN,
35 ANS
Le spectre politique d’un pays clivé
Dans les quartiers populaires du sud de
Quito, dimanche, c’est plutôt la question sociale qui préoccupait les
électeurs, dans les files d’attente chaotiques formées aux abords des bureaux
de vote. À Quitumbe, entre un échangeur de béton survolé, à basse altitude, par
un hélicoptère militaire et des bus bleus filant à toute allure sans égard pour
la foule débordant sur le béton, Alexander Villa, 22 ans, soulagé de
s’être extirpé de cette cohue, se félicitait de son vote pour Xavier Hervas,
sûr de sa détermination à remédier aux « déficiences du système
éducatif ». Luis Quilumbaqin, 35 ans, témoignait des pressions
endurées au travail : « Le patron nous a demandé de voter pour Lasso et
de lui envoyer la photo du bulletin de vote, sous peine d’être licencié. J’ai
coché le mien au crayon papier, envoyé la photo, puis gommé ce vote. Les
gens d’argent veulent manipuler le scrutin, en profitant de la peur du chômage.
Les riches ont peur du retour des corréistes, qui les obligeaient à payer leurs
impôts. »
Arauz défend le même projet politique. Mais ils feront
tout pour l’empêcher de gagner, quitte à faire voter les morts. CARMEN,
26 ANS
Aux confins méridionaux de la capitale,
dans la cour d’une école de Nueva Aurora aux entrées gardées par des policiers
et des soldats, Carmen, 26 ans, piétinait sous un soleil de plomb à
l’entrée de son bureau de vote, en espérant « que ces élections
apportent le changement ». « Ce gouvernement n’a rien fait pour le
peuple. Nous n’avons plus un sou en poche. Rafael Correa, lui, se préoccupait
de nous. Il a beaucoup fait pour les pauvres, pour leur accès au travail, à la
santé, à l’éducation. Arauz défend le même projet politique. Mais ils feront
tout pour l’empêcher de gagner, quitte à faire voter les morts », nous
expliquait-elle, la voix couverte par un haut-parleur exhortant les électeurs à
se tenir éloignés les uns des autres.
De quoi vivra un pays comme le nôtre, si on ferme les
mines et les champs pétroliers ? DAVID CANDO, ÉLECTEUR DE
LASSO
À l’autre bout de la ville et du spectre
politique, David Cando, un habitant de la vieille ville coloniale, électeur de
Lasso, redoute la victoire d’Andrés Arauz, « une marionnette de Correa,
qui a divisé le pays, démoli ses institutions, couvert la corruption ». Il
juge les options écologistes de Yaku Pérez « trop extrémistes » – « De
quoi vivra un pays comme le nôtre, si on ferme les mines et les champs
pétroliers ? » –, mais n’hésitera pas à se rallier à lui au second
tour, pour barrer la route au candidat socialiste.
Le candidat progressiste et l’héritage du corréisme
Alors que les études d’opinion laissaient
présager, dans la dernière semaine de campagne, une possible victoire au
premier tour, Arauz a certainement pâti des féroces attaques de ses
adversaires, qui l’accusent, pêle-mêle, d’avoir bénéficié des financements
d’une guérilla colombienne, d’avoir reçu à Buenos Aires le vaccin contre le
Covid-19 – alors qu’il a contracté la maladie après son séjour en Argentine –,
d’avoir eu recours à des tests PCR pour son équipe de campagne.
À double tranchant, l’omniprésence de
Rafael Correa dans la campagne, depuis son exil en Belgique, a mobilisé la
popularité de l’ex-président dans les classes populaires, tout en semant le
doute sur l’autonomie et les promesses de renouveau générationnel du candidat
progressiste. À la veille du scrutin, la sortie de Correa, très catholique, sur
les femmes souhaitant avorter « par hédonisme » en raison de
leur « activité sexuelle frénétique » a choqué l’électorat de
gauche – même si ni Arauz ni Pérez n’osent s’afficher publiquement en faveur de
la légalisation de l’IVG, devant une opinion très conservatrice sur le sujet.
Mais, dans l’entourage du candidat, on veut croire que
le bilan du corréisme garantira, dans un pays clivé, la victoire au second
tour. « Cette gauche aujourd’hui incarnée par Andrés Arauz a conduit
pendant dix ans un pays habitué à voir valser les gouvernements. Elle est
synonyme de stabilité politique, de compétence, de progrès, expose
l’ancien chef de la diplomatie, Guillaume Long. Nous avons réduit la
pauvreté et les inégalités comme jamais auparavant, nous avons doublé le PIB en
dix ans. Dans ce contexte de pandémie, de crise économique et sociale terrible,
cette expérience est notre atout majeur. »
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