Pour sortir de la crise gouvernementale, les partis
sociaux-libéraux et libéraux sont prêts à former une majorité parlementaire
avec l’extrême droite de Matteo Salvini. Objectif : soutenir un exécutif
« technique » de l’ancien dirigeant de la Banque centrale européenne.
Le cordon sanitaire contre l’extrême
droite a été coupé en Italie. À plusieurs reprises depuis 1994, la droite
berlusconienne et le centre démocrate-chrétien avaient déjà gouverné avec la
Ligue du Nord. Avec Mario Draghi, nommé pour former un gouvernement dit
« technique » qui sorte le pays de la crise politique, un nouveau pas pourrait
être franchi. En effet, ni le Parti démocrate, de centre gauche, ni la
formation centriste de Matteo Renzi, le « Macron italien », ni le parti
ultralibéral de l’ancienne commissaire européenne Emma Bonino n’excluent ces
derniers jours de participer à une majorité avec la Ligue de Matteo Salvini.
Les démagogues du Mouvement 5 étoiles (M5S), qui avaient déjà formé
un gouvernement avec la Ligue en 2018 au début de la législature, sont sur la
même ligne. Les contours et le programme de la majorité devraient être connus
vendredi quand Mario Draghi retournera voir le président de la République pour
lui signifier s’il est en capacité ou non de former un gouvernement.
Matteo Renzi, ex-premier ministre, avait
déclenché avec son micro-parti, Italia Viva une crise en faisant démissionner,
le 13 janvier, ses ministres du gouvernement de Giuseppe Conte. Faute de
majorité, celui-ci a dû démissionner. Considéré comme la figure italienne la
plus reconnue à Bruxelles, Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque
centrale européenne, a donc été désigné pour former un exécutif technique.
Celui-ci aura notamment pour mission de gérer la crise sanitaire et d’obtenir
les 209 milliards d’euros auxquels l’Italie peut prétendre dans le cadre
du Fonds de relance européen.
La Ligue du Nord, une formation anti-euro et antimigrants
On pourrait s’étonner de voir Matteo
Salvini se ranger derrière un Draghi auréolé du succès d’avoir « sauvé
l’euro » au début des années 2010. En effet, à partir de 2013, Salvini
a fait de la Ligue une formation anti-euro et antimigrants sur le modèle de
Marine Le Pen, qu’il a invitée à un meeting à Milan, lors de la campagne des
élections européennes en mai 2019. « Les souverainistes sont tout aussi
néolibéraux que les européistes, analyse Maurizio Acerbo, secrétaire
du Parti de la refondation communiste. La Ligue, parti qui a toujours
été pour les privatisations, pour la précarisation, est alignée sur les
industriels et ne peut dire non à Draghi. La même chose vaut pour le Parti
démocrate. »
On assiste en effet à une sorte de retour
à la Ligue des origines, la Ligue du Nord, représentante des classes
économiques dirigeantes septentrionales, qui ont pour débouché naturel le
marché européen. « La Ligue sera obligée de soutenir le gouvernement
Draghi, autrement, elle perdra sa base, faite de petites et moyennes
entreprises, d’autoentrepreneurs, de gens qui sont sur le marché et qui ont
besoin d’un gouvernement sérieux. Si la Ligue veut saborder l’Italie pour une
question idéologique ou de convenance, elle le paiera », alertait
samedi, dans le journal en ligne Quotidiano, Alberto Alban, ancien
vice-président de la section petite industrie de la Confindustria, le patronat italien.
Malgré les rodomontades démagogiques
contre les migrants et l’UE, destinées à percer dans l’électorat du sud de la
péninsule, l’essentiel des soutiens de la Ligue réside au nord, dans des zones
où l’appareil industriel est intimement lié aux Konzerne allemands. En 2012,
sous un précédent gouvernement technique, celui de l’ex-commissaire européen
Mario Monti, la Ligue avait ainsi voté, à la suite du traité sur la stabilité,
la coordination et la gouvernance dans la zone euro voulu par Berlin, pour l’inscription
de l’interdiction des déficits dans la Constitution.
Matteo Salvini s’est dit prêt, non
seulement à soutenir un exécutif de Draghi, mais aussi à y avoir des ministres.
Voilà qui complique la tâche du Parti démocrate (PD). En effet, à chaque
scrutin depuis 1994, la formation sociale-libérale et ses prédécesseurs (le
Parti des démocrates de gauche et la Marguerite) ont fait appel au « vote
utile » pour faire barrage à Berlusconi et à la Ligue… En 2011 déjà, le PD
avait choisi d’appuyer le gouvernement technique de Mario Monti, en compagnie
des berlusconiens. Ce serait un pas de plus s’il en faisait de même avec la
Ligue, au nom de la « responsabilité ». Un échec de Mario
Draghi à former un gouvernement signifierait l’ouverture d’une campagne électorale
en pleine pandémie, et alors que l’Italie n’a pas finalisé son accès au fonds
de relance. Aussi, mal à l’aise, les dirigeants sociaux-libéraux ironisent, tel
le vice-secrétaire du PD Andrea Orlando, selon lequel « la nomination
de Draghi a eu un premier effet. Salvini est devenu européiste en
24 heures ». Même ironie de la part de la fédéraliste et libérale Emma
Bonino, ancienne commissaire européenne, dans La Repubblica : « Bien
sûr que je ne serais pas embarrassée à l’idée de m’asseoir dans l’équipe de
gouvernement avec un léghiste, ce sera le léghiste qui sera embarrassé car il
devra changer de sweat-shirt et de masque. » Des
remarques dont n’a que faire le leader de la Ligue, Matteo Salvini. « Je
laisse volontiers aux autres les étiquettes. “Européiste, anti-européiste,
fasciste, communiste .” Je suis une personne très pragmatique. Si
dans les prochains mois on peut opérer des coupes dans les taxes et la
bureaucratie, moi, j’en suis », leur répond le dirigeant d’extrême droite,
interviewé par Radio 24.
Les leçons de démocratie de l’Union
européenne
Ces passerelles montrent les
rapprochements entre euro-libéraux et nationaux-libéraux, qui partagent un même
logiciel économique : réforme du marché du travail et réduction des déficits.
Mario Draghi ne fait aucun mystère de sa volonté de mettre fin, au mois de
mars, à l’interdiction des licenciements et à certaines aides qui
maintiendraient, selon lui, en vie des entreprises non viables. « La
raison sociale du Parti démocrate est la fidélité à la gouvernance européenne
et aux politiques néolibérales », déplore le dirigeant communiste
Maurizio Acerbo. Le PD prend toutefois quelque peu ses distances avec la Ligue.
Son secrétaire, Nicola Zingaretti, a dit qu’il soutiendrait « sans
veto » l’exécutif de Mario Draghi. En revanche, si la Ligue peut faire
partie de la majorité parlementaire, elle ne pourra avoir de ministre,
prévient-il. L’exécutif de Draghi sera exclusivement, alors, composé de
ministres techniques, sans dirigeant issu d’un parti politique.
Pour faciliter le soutien du PD à Draghi,
Salvini s’est dit prêt, lundi, à ce que la politique migratoire de l’Italie
soit calquée sur celle de Paris et de Berlin. La pression est forte sur tous
les partis politiques pour éviter un retour aux urnes dans un pays considéré
comme l’homme malade de l’Europe, avec une énorme dette publique. Mais à quel
prix ? Une très grande coalition allant des sociaux-libéraux à l’extrême droite
serait quasi inédite dans une UE qui donne des leçons de démocratie à tout-va.
En 2006, le parti socialiste slovaque, qui gouvernait avec l’appui des
nationalistes (SNS), avait été suspendu du Parti socialiste européen pour deux
ans. Celui-ci prendra-t-il la même décision avec le Parti démocrate ? Il ne
s’était pas exprimé sur le sujet à l’heure où nous écrivions ces lignes.
Les forces politiques sont face à un dilemme. En cas
d’élection anticipée, la Ligue et ses alliés de droite l’emporteraient, si l’on
en croit les sondages. Un gouvernement de très grande coalition ne laisserait
dans l’opposition qu’une seule force parlementaire de poids : Frères d’Italie,
un parti postfasciste classé en troisième position dans les sondages. Sa
dirigeante, alliée électorale de longue date de Salvini et Berlusconi,
pourrait, depuis l’opposition, damer le pion à la Ligue et conquérir dans les
urnes en 2023 les quelques points qui en feraient le premier parti d’Italie.
Le sort du gouvernement italien connu vendredi
Le sort du gouvernement italien connu
vendredi
Pour l’heure, Mario Draghi n’est pas
encore pleinement président du Conseil. Il poursuivait, lundi, les discussions
avec les forces politiques pour définir quel sera le programme de gouvernement,
et constater s’il est possible d’inclure dans son exécutif deux ministres de
chacune des forces qui soutient son gouvernement. Il a rendez-vous vendredi
pour rendre compte de son travail au président de la République, Sergio
Mattarella, qui choisira alors de le confirmer ou non à son poste. En cas
d’échec, du fait d’un différend sur le programme par exemple, des élections
législatives anticipées pourraient être convoquées.
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