Alors que les stations d’hiver tournent au ralenti,
des dizaines de milliers d’emplois se sont envolés. Les salariés temporaires
tentent de faire face avec des aides au compte-gouttes. TÉMOIGNAGES.
À la mi-février, les flots de touristes
auraient dû battre leur plein, et le bruit des skis sur la neige fraîchement
damée faire résonner la montagne. Et avec les vacances scolaires aurait dû
s’activer son armée de petites mains, dans les restaurants, sur les pistes,
derrière les guichets des remontées mécaniques. Mais ce début d’année 2021 a
pris une tournure qu’aucun saisonnier n’osait imaginer.
Tous ses plans se sont effondrés...
Normalement perchée à 1 860 mètres de
hauteur, au cœur de la station de l’Alpe-d’Huez (Isère), Édith accuse le coup.
Depuis l’annonce de la fermeture des remontées mécaniques par le premier
ministre Jean Castex, le 24 décembre dernier, pour contrer l’élan de
l’épidémie de coronavirus, la cinquantenaire nourrissait l’espoir que le
gouvernement revienne sur sa sentence. Mais, près de trois mois plus tard,
force est de constater que la saison est bel et bien gâchée, et qu’elle n’aura
pas travaillé de l’hiver. « On s’organise pour partir six mois de chez
soi, j’avais tout planifié. Et puis le couperet tombe, tout notre projet tombe
à l’eau. Psychologiquement, c’est dur », souffle-t-elle.
Habituellement employée de la chaîne de
restauration et de divertissement sur les hauteurs enneigées, la Folie douce,
la saisonnière avait pourtant signé une promesse d’embauche. Si tous ses plans
se sont effondrés lorsque son employeur a baissé le rideau de fer de ses
établissements, Édith espérait tout de même bénéficier du chômage partiel. Pas
de travail, mais une fraction du revenu : la situation aurait permis de sauver
les meubles. Mais là encore, ses espoirs ont été douchés lorsque sa direction
lui a déclaré que son contrat de travail ne serait pas repoussé, mais
annulé. « J’ai envoyé des mails, je leur ai dit que je m’en foutais
d’être en chômage partiel, mais on m’a dit non, que je ne serai pas embauchée
tant que la situation ne se débloquerait pas », confie-t-elle. La CGT lui a
bien conseillé de tenter des recours en justice, mais la salariée ne s’y est
pas résolue. « Si je fais ça, mon poste, c’est sûr que je ne l’aurai
pas l’année prochaine. Et puis ça reste un petit village, les gens parlent. »
La douche froide, Coline aussi l’a connue.
Du haut de ses 24 ans, l’étudiante en biologie a décidé de mettre en
suspens son cursus universitaire pour se lancer dans les saisons, avant que la
crise sanitaire vienne rebattre les cartes. Si la jeune femme avait elle aussi
signé une promesse d’embauche auprès d’un restaurant de Courchevel (Savoie),
son employeur a fait la sourde oreille au moment de passer à la
signature. « J’ai demandé à mon employeur d’être embauchée, je leur ai
dit que j’avais vu à la télé qu’une aide de l’État existait pour aider les employeurs
à recruter et permettre aux saisonniers de toucher le chômage partiel. Mais on
m’a répondu qu’il resterait quoi qu’il arrive des charges à payer de leur côté
et qu’ils n’avaient pas les moyens », se désole la serveuse.
Des promesses mais peu de concret
Fin janvier, le ministre délégué aux
Comptes publics, Olivier Dussopt, avait en effet promis aux acteurs de la
montagne une « aide massive » pour remonter la pente. Il y a
une vingtaine de jours, c’était au tour de la ministre du Travail, Élisabeth Borne,
d’inviter à nouveau les professionnels du tourisme à embaucher les saisonniers,
quitte à les placer en chômage partiel ensuite, « pris en charge à
100 % » et « jusqu’à la fin de la saison en avril ».
Mais, derrière les belles paroles, la réalité est tout autre. Si elle a réussi
à trouver in extremis un contrat de trois semaines dans une usine après
l’annulation de sa saison d’hiver, Coline n’a tout de même pas eu d’autre choix
que de retourner vivre chez ses parents dans la Manche.
Bernard, lui, n’a tout simplement pas pu
négocier la précieuse indemnité. Posté derrière les caisses des remontées
mécaniques de la régie publique de la petite station de Mont-Saxonnex
(Haute-Savoie) depuis six hivers, le statut public de son employeur le prive de
chômage partiel. « J’ai été comme tout le monde, j’ai attendu de savoir
ce qu’il allait se passer, et puis j’ai appris que je n’allais pas être
indemnisé. Je n’ai pas du tout trouvé autre chose à faire, un autre boulot. À
61 ans, je n’allais pas me convertir en moniteur de ski, et puis même eux
sont en difficulté », raconte-t-il. L’ancien entrepreneur spécialiste
des télécoms qui s’est reconverti en saisonnier il y a quelques années à la
mort de sa femme, qui était aussi son associée, doit se contenter du RSA pour
remplir son frigo. « Je n’ai déjà pas pu travailler pendant la saison
d’été, alors me voilà sans logement, je n’ai plus de voiture, je suis hébergé
chez des amis. » Convaincu que son âge est un handicap supplémentaire
au marasme économique, le saisonnier broie du noir : « Les prochains
mois vont être difficiles. Je les vois de la seule manière que je peux les
voir, c’est-à-dire que je ne les vois pas. »
Ne pas rentrer dans les cases
Le sexagénaire pourrait bien avoir accès à
l’aide de 900 euros mensuels promise par le gouvernement. Son dossier, en
examen depuis plus d’un mois, le laisse languir. Mais ses comparses, elles, en
ont eu le cœur net : ni l’une ni l’autre n’a le droit à l’inestimable pactole.
Saisonnière depuis 2020 seulement, Coline ne rentre pas dans les cases : il
faut justifier, pour toucher l’aide, d’un nombre minimal d’heures travaillées
en 2019, alors qu’elle était encore étudiante. La nouvelle saisonnière, trop
jeune, n’a guère plus le droit au RSA. Quant à Édith, avec déjà 900 euros
de revenus en poche, elle ne peut pas non plus prétendre au coup de pouce de
l’État. « Je gagne trop pour toucher l’aide, mais pas assez pour vivre.
Mon loyer est déjà à 600 euros, quand on rajoute l’eau, l’électricité, il
ne reste pas grand-chose », rigole-t-elle amèrement. Forcée de se
débrouiller seule, la saisonnière siffle ses droits au chômage, qui
s’épuiseront en août. Au pied du mur, la femme originaire de
Provence-Alpes-Côte d’Azur s’est précipitée sur la première offre d’emploi
qu’elle a trouvée pour sa saison estivale. Une promesse d’embauche pour un
emploi dans un magasin de prêt-à-porter trop faiblement rémunéré, mais la
garantie de recharger son compte d’heures travaillées auprès de Pôle emploi. À
moins qu’un nouveau confinement ne balaie encore une fois ses plans d’un revers
de manche.
Marie Toulgoat
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