Jeudi 7 Janvier 2021
Le projet d’un hôpital géant à Saint-Ouen, fusion de
Bichat et de Beaujon, se poursuit avec 300 suppressions de lits. Sans que
les leçons du Covid aient été tirées.
En pleine crise du coronavirus, les
soignants doivent aussi parer les mauvais coups. La semaine dernière, médecins
et usagers signaient une tribune dans le Monde dénonçant la
persistance du projet de campus hospitalo-universitaire Grand Paris-Nord à
Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Fusion des établissements Bichat
(18e arrondissement de Paris) et Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine), ainsi
que de deux unités universitaires, le plus important projet de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis vingt ans devrait sortir de terre
d’ici à 2028. Si la construction d’une telle structure pour un montant de
1,2 milliard d’euros pourrait être une bonne nouvelle pour la
Seine-Saint-Denis, sous-dotée en termes d’offre de soins, les conditions de sa
réalisation, avec 30 % de lits supprimés, suscitent la colère. « On
nous assure qu’on pourra transformer les chambres simples en doubles en cas de
besoin. OK, mais comment vont-ils trouver les soignants ? Par
magie ? 600 effectifs passeraient aussi à la trappe », souligne
Hakim Bécheur, chef du service d’hépato-gastro-entérologie à Bichat et membre
du Collectif inter-hôpitaux (CIH).
Pour apaiser les tensions, 100 lits
ont été ajoutés début novembre. Mais plus de 300 sont encore portés disparus au
sein de ce futur hôpital tentaculaire. Les déclarations du ministre de la
Santé, Olivier Véran, assurant le 18 novembre dernier qu’il fallait « sortir
totalement du dogme de la réduction des lits », n’ont, semble-t-il,
pas ruisselé jusqu’en Seine-Saint-Denis.
Comme si de rien n’était, en octobre, des
commissions ont commencé à évaluer les différents projets architecturaux mis
sur la table. Pour les soignants toujours en lutte intensive contre la
pandémie, la pilule est dure à avaler. Olivier Milleron, cardiologue à Bichat
et membre du CIH, taille en pièces les arguments justifiant cette baisse de
capacité : « Ils estiment que la durée de séjour va baisser de
30 %, passant de six à quatre jours, ce qui ne repose sur rien de
scientifique. Ils tablent aussi sur un taux d’occupation des lits de 95 %,
alors qu’on sait qu’au-dessus de 85 % on ne peut pas accueillir les patients
non programmés. Nous devons déjà transférer 30 % des patients de Bichat et
50 % de Beaujon dans d’autres établissements à cause du manque
de lits. Ce projet est complètement déconnecté de la réalité. Nous demandons
une étude sur les besoins de santé en Seine-Saint-Denis pour sortir des
raisonnements idéologiques. » Le gouvernement a beau avoir supprimé le
fameux Copermo (Comité interministériel de la performance et de la
modernisation de l’offre de soins hospitaliers) à la manœuvre dans les
réductions de capacités hospitalières, remplacé depuis par un Conseil national
de l’investissement en santé, la logique n’a pas bougé d’un iota.
Parodie de consultation publique
Dans ce département qui manque cruellement
de médecins et qui a enregistré une surmortalité de 134 % entre mars et
avril 2020 avec le virus, l’incompréhension est totale. « Il faut
garder un certain nombre de lits pour les patients graves, assène
Simon Chiaroni, secrétaire de la CGT à Bichat. On a vu ce qui s’est
passé dans les services de réanimation avec le Covid. Le Grand Paris-Nord ne
répondra pas aux besoins des patients. » Constat partagé par Hakim
Bécheur : « C’est plutôt 300 lits en plus qu’il nous faudrait. On
va se retrouver avec un goulot d’étranglement. La montée en puissance de l’ambulatoire,
c’est un mirage. Les gens vont être renvoyés chez eux sans savoir si leurs
conditions de vie sont acceptables. »
Quant à la consultation publique, reprise
en novembre dernier, elle a pour beaucoup des airs de parodie. Deux garants de
la Commission nationale du débat public avaient précédemment jeté l’éponge.
Comme l’explique Denis Vemclefs, conseiller municipal d’opposition dans le
groupe à gauche (pcf et Génération.s) à Saint-Ouen et membre du collectif Pas
ça, pas là, pas comme ça : « Ils avaient jugé que le processus était un
peu biaisé, car seule la parole de l’AP-HP comptait. Quels que soient nos
arguments, ils ne sont jamais entendus. En 2019, une enquête publique auprès
des habitants avait pourtant montré que 91 % d’entre eux rejetaient le
projet. » Après avoir bataillé, les opposants pourront présenter un
projet alternatif lors d’une réunion, le 19 janvier. Mais les délais sont
courts. « Nous avons été prévenus fin décembre pour un dépôt le
12 janvier, déplore-t-il. Dans un secteur où la
population va continuer à croître, nous sommes pour la construction d’un
hôpital à taille humaine, mais aussi pour la rénovation de Bichat et Beaujon.
L’AP-HP assure que ces travaux sont impossibles, nous voulons une
contre-expertise. »
Dans ce dossier très contesté, les élus questionnent
aussi le futur emplacement de ce paquebot. À la place de l’usine PSA de
Saint-Ouen et d’un magasin Conforama, la circulation automobile, déjà difficile
en centre-ville, pourrait devenir impraticable. « C’est incroyable que
l’Assistance publique persiste dans cette voie alors que chacun a pu constater
l’incapacité de l’hôpital à concilier crise épidémique et suivi normal de la
population, s’agace Éric Coquerel, député FI de la
circonscription. Les citoyens ne mesurent pas encore ce qu’il va se
passer. Il est important que la lutte reparte. Il n’est pas trop tard pour
décider d’un moratoire sur ce projet. » Alors que les promesses d’un
changement de paradigme sur la santé formulées par Emmanuel Macron sont encore
dans toutes les têtes, usagers, soignants et politiques de gauche exigent un
autre hôpital pour demain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire