Il y a dix ans, jour pour jour, la Tunisie
se libérait du joug de Zine El Abidine Ben Ali. Sous la pression d’une révolte
populaire inédite démarrée un mois plus tôt, l’autocrate prenait la fuite après
vingt-trois ans de règne. Une victoire pour un peuple assoiffé de liberté. Et
un immense espoir pour le Moyen-Orient. La chute du dictateur initia un
printemps sans précédent, emportant dans la foulée Hosni Moubarak en Égypte,
Mouammar Kadhafi en Libye, Ali Abdallah Saleh au Yémen… L’inspiration
tunisienne, et son fameux « Irhal ! » (« Dégage ! ») scandé dans les rues, fit
souffler un vent de dignité et de force collective encore jamais vu dans le
monde arabe, longtemps condamné à l’oppression et aux stratégies géopolitiques
mondiales.
Tout était possible. Mais voilà, on le
sait, une décennie plus tard, rien ne semble l’être encore. Le vide créé par la
disparition de régimes vilipendés n’a pas été comblé par les réformes
attendues. L’Égypte est dans la main de fer du général Al Sissi, la Libye
fragmentée en une myriade de groupes locaux, le Yémen empêtré dans une guerre
civile meurtrière… Quant à la Syrie, la répression organisée par Bachar Al
Assad entraîna un conflit faisant plus de 380 000 morts, des millions de
déplacés, et transforma le pays en une poudrière djihadiste. Même la Tunisie,
engagée, elle, dans un processus démocratique, affronte une crise sociale
profonde et souffre encore d’une classe politique en perpétuelle lutte de
pouvoir.
Sombre bilan ? Oui, mais ne nous y trompons pas.
Malgré ces revers, la flamme des mouvements pro-démocratie ne s’est pas
éteinte. Les soulèvements au Soudan, en Algérie, en Irak ou encore au Liban
montrent bien que le printemps de 2011 n’était pas une simple révolte, mais
bien une révolution. De celles qui modifient en profondeur la « réalité
narrative » de toute une région, pour reprendre l’expression de
l’auteure libanaise Lina Mounzer. Entre la chute d’un système et son
remplacement, c’est le temps des monstres, disait Gramsci. Le monde arabe est
dans cet entre-deux. Mais avec l’idée d’un autre possible désormais bien ancrée
dans les têtes.
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