Loin du discours dépeignant les jeunes comme des
fainéants indignes de minima sociaux comme le RSA, quatre jeunes racontent
leurs difficultés à trouver un poste durable. Diplômés d’un BTS ou d’un master,
ils ne bénéficient pas d’un filet de sécurité suffisant.
Quand elle pense à la facilité avec
laquelle elle a trouvé son emploi de barista dans une grande chaîne de café,
Chloë, 24 ans, semble parler d’un passé lointain, voire révolu. C’était en
2019. Depuis, la crise sanitaire et économique est passée par là et, avec
elle, une année 2020 faite de refus d’embauche, de non-réponses et de
difficultés financières. Après près d’un an de recherche d’emploi, sans
aucun soutien financier, la jeune Marseillaise espère que 2021 sera plus
clémente et que le secteur de la restauration embauchera à nouveau.
En recherche d’emploi depuis près d’un an,
comme des milliers de jeunes, Chloë a connu de longs moments de
découragement. « On veut bien trouver du travail, mais il n’y en a
pas », répond-elle aux discours qui accusent les jeunes de manquer de
motivation. Éconduite d’un contrat de serveuse en restauration d’altitude en
janvier 2020, la jeune femme pensait trouver un travail au début du printemps.
L’apparition du coronavirus et le confinement qui l’a suivie l’en ont empêchée.
En avril, cette Marseillaise, qui cumule
plusieurs mois d’expérience dans la restauration, a écrit des lettres de
motivation pour devenir serveuse ou même vendeuse. « Je n’ai eu aucune
réponse. J’étais dégoûtée. Pendant le deuxième confinement, j’ai repostulé, pas
de réponse. » Jamais elle n’est restée aussi longtemps sans
emploi. « Mon profil et mon expérience plaisaient aux enseignes de
restauration rapide, raconte cette diplômée d’un BTS en assurance. Si
je n’arrive pas à trouver, c’est dû au Covid à 100 %. » Son
avenir s’était bien éclairci, en octobre, quand le domaine skiable de Pralou
l’a recrutée pour la saison d’hiver. La fermeture des remontées mécaniques
l’a laissée sur le carreau : sans contrat de saisonnière signé, elle ne
bénéficie pas du chômage partiel. Trop jeune pour toucher le RSA, Chloë vit à
nouveau chez son père. « À notre âge, on veut se lancer dans la vie,
s’acheter une voiture…, prendre un appartement », soupire-t-elle.
Un service civique pour regagner confiance en soi
Retourner vivre chez ses parents, Marjorie
a également dû s’y résoudre. En septembre, la vingtenaire a fini sa deuxième
année de master à la Sorbonne, en droit international venu s’ajouter à son
diplôme en relations internationales à Sciences-Po Toulouse. N’ayant pu
effectuer de stage de fin d’études dans le délai imparti, la jeune Marseillaise
a perdu espoir de s’insérer professionnellement et a souffert de dépendre
financièrement de sa famille. En octobre 2020, à l’arrêt du versement de sa
bourse d’études, Marjorie, alors âgée de 24 ans, donc non éligible au
RSA, s’est retrouvée sans ressources. Elle a alors décidé de trouver un « travail
alimentaire » : un contrat de trois mois en tant que caissière dans
une grande surface. « Si j’avais eu droit au RSA, j’aurais pu me
consacrer pleinement à ma recherche d’emploi, imagine-t-elle. Il
serait bien qu’il y ait une aide financière exceptionnelle entre la sortie
d’école et le premier emploi. Et un rendez-vous obligatoire d’orientation avec
la mission locale, l’Apec ou Pôle emploi. »
En ce début d’année, la jeune femme avoue
souffrir des silences à chacune de ses candidatures dans des ONG et
associations œuvrant dans son domaine de compétence (droits de l’homme, droit
de l’environnement, droit des femmes). Aussi a-t-elle opté pour un service
civique de six mois, au Centre permanent d’initiative pour l’environnement de
La Ciotat, indemnisé à 580 euros par mois, qu’elle commencera
bientôt. « Ce sera l’occasion d’accumuler de l’expérience. J’ai
tellement perdu confiance que j’ai du mal à me dire que je pourrais être
chargée de projet », avoue-t-elle. Quand elle a choisi de se
spécialiser dans un master de coopération internationale en 2018, bien loin des
préoccupations sanitaires actuelles, Marjorie se doutait qu’elle ne trouverait
pas un poste immédiatement après sa sortie d’études, mais elle ne s’imaginait
pas une recherche d’emploi si compliquée. Aujourd’hui, les offres d’emploi
sont devenues rares. Pour elle comme pour tout le monde.
Le RSA, loin d’être une trappe à fainéantise
À 400 kilomètres de là, Assan, assistant
social, également sans activité, se trouve lui aussi face au mur. Mais il pense
avoir trouvé la solution : la création d’emploi. Dans sa branche, l’aide
sociale, les besoins ne manquent pas. Ils ont même explosé avec l’irruption du
Covid-19. Les nouveaux postes devraient donc suivre. Mais le « quoi
qu’il en coûte » ne parvient visiblement pas à passer la porte des
conseils départementaux, premiers employeurs d’assistants sociaux. « Ce
n’est pas de la faute des départements mais de l’État, qui ne donne pas de
moyens suffisants », juge le
Toulousain. Depuis son diplôme, en juillet 2019, le jeune homme n’est pas
parvenu à trouver un poste stable et a alterné CDD de remplacement et périodes
de chômage. « Mes droits d’allocation-chômage sont bientôt terminés. Si
je n’avais pas accepté un contrat de remplacement de deux semaines pendant les
fêtes de fin d’année, je n’aurais rien. »
Lui-même âgé de moins de 25 ans
balaie les arguments qu’a apportés le président de la République pour rejeter
les demandes d’ouverture du RSA aux plus jeunes. « Macron s’était
justifié sur Brut en disant : “Je ne veux pas inciter à la fainéantise.” Mais
personne ne souhaite être au RSA ! En revanche, ce serait une solution de court
terme pour les moins de 25 ans. » Comme Assan, Chloë ne voit pas
dans le RSA une trappe à fainéantise. « Le RSA, c’est bien, mais
tu ne peux pas en vivre. Si je le touchais, ça ne m’empêcherait pas de chercher
un emploi, ça m’aiderait juste à survivre. »
De même, la solution apportée, en théorie,
à chaque jeune Français, par le plan gouvernemental « Un jeune, une solution »
ne leur paraît pas réelle. « J’ai l’impression que ce n’est pas
suffisant, tempère Marjorie, à propos du dispositif. Leur site Web
peut être utile pour certains, mais pas pour des emplois qualifiés. » Rares
sont effectivement les offres qui correspondent aux diplômes de Marjorie et au
niveau de salaire auquel elle peut prétendre. Et lorsqu’on recherche un emploi
d’assistant social dans la région toulousaine sur cette plateforme, aucune
offre ne s’affiche. Assan l’a également constaté dans sa recherche chez Pôle
emploi. Les seuls postes proposés ne correspondent jamais à son métier. « J’ai
été obligé de prendre un rendez-vous avec une entreprise de conseil
sous-traitante. C’était lunaire. Mon interlocuteur ne connaissait pas du tout
mon domaine. »
Seulement 90 euros par mois avec la garantie jeunes
Thibault, jeune saisonnier agricole qui
complète ses périodes d’intersaison par des contrats courts, se souvient
également de l’appui apporté par Pôle emploi. Inutile. Après avoir reçu des
propositions d’emploi dans des exploitations agricoles à l’autre bout de la
France, le Rouennais a vite compris que ses contrats, il devait se les trouver
grâce son réseau personnel. Ce qu’il a fait.
Sans allocation-chômage, la jeune Chloë a
découvert l’existence de la garantie jeunes, autre dispositif que le
gouvernement se fait fort de développer. Elle s’est rapprochée de la mission
locale des quartiers sud de Marseille. Dossier déposé, elle espère bénéficier
de cette aide financière, même si elle ne s’attend pas à un montant
faramineux. « Je pense que je toucherai 90 euros par mois,
peut-être. Ça me permettrait au moins de soutenir financièrement mon père, qui
vit grâce à une petite retraite. »
En contrepartie, le jeune accompagné doit
s’investir dans une recherche active d’emploi. Depuis le début de l’année,
Chloë a repris sa prospection dans l’agglomération phocéenne, multipliant
les lettres de motivation. « J’ai élargi mes recherches aux services
civiques. Mais à 580 euros par mois, ça ne me permettrait pas de
vivre parce que je n’ai pas le droit au RSA pour compléter. »
Comme Marjorie, la jeune femme espère que 2021 sera
plus propice à son insertion professionnelle. Un emploi stable lui donnerait la
clé d’un logement indépendant et d’une carrière dans le management de la
restauration.
Logement : le cdi, un sésame difficile à obtenir
Pour
habiter dans son propre appartement, quitter le nid familial ou sa chambre
étudiante, le contrat à durée indéterminée est clé. Les jeunes sans emploi ou
en situation précaire accèdent donc difficilement à leur propre logement,
d’autant plus que leur épargne est souvent limitée. Assan, jeune assistant
social au chômage, en a fait les frais lorsqu’il a souhaité emménager avec sa
compagne, employée en CDD, dans la banlieue toulousaine. Beaucoup d’agences ont
refusé leur dossier, invoquant la garantie loyers impayés. Cette assurance pour
les propriétaires requiert de la part des locataires des revenus près de trois
fois supérieurs au montant du loyer, avec des contrats de travail stables.
« On a eu une chance folle de trouver un appartement », estime
Assan, qui s’est alors tourné vers la location de particulier à
particulier et a réussi à convaincre un propriétaire de leur louer son
logement. À l’inverse, Thibault, saisonnier agricole, a renoncé à quitter son
studio étudiant, au cœur de Rouen, lorsqu’il a su que La Poste, son employeur
principal, ne lui proposerait pas de CDI et cesserait de lui confier des
missions ponctuelles.
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