Fermées pour cause de confinement mais autorisées à
faire du « click and collect », elles ont obtenu l’interdiction de la vente de
livres en grandes surfaces. Une victoire amère qui laisse un boulevard à
Amazon.
Les libraires n’avaient jamais vu ça. Des
dessins de Riad Sattouf et de Joann Sfar publiés sur Internet, une pétition,
largement relayée, initiée par le journaliste François Busnel, le report des
grand prix littéraires de l’automne : depuis l’annonce de la fermeture des
librairies indépendantes, considérées comme des commerces « non essentiels » et
seulement autorisées à faire du « click and collect » (achat à distance et
récupération en magasin – NDLR), la profession et les lecteurs sont
solidaires. « Le dernier jour, nous avons multiplié notre chiffre
d’affaires par neuf, c’était un tsunami de clients. Depuis, le téléphone
n’arrête pas de sonner », raconte Lucie Eple, l’une des trois
associées du Pied à terre, qui a ouvert, en septembre dans le quartier parisien
de Château-Rouge. « Nous avons vendu encore plus qu’un samedi d’avant
Noël, mais sans la joie et les paillettes. C’était beau et mélancolique, les
gens venaient nous dire qu’ils n’iraient pas sur le Net », témoigne
Charlotte Desmousseaux, gérante de la Vie devant soi, à Nantes.
Alors que les théâtres, musées et cinémas
sont fermés et que les librairies pourraient offrir un accès facile à la
culture, la décision du gouvernement a soulevé un tollé. À la colère s’est
ajouté un sentiment d’injustice quand les libraires indépendants ont appris que
les grandes surfaces alimentaires et la Fnac pouvaient continuer de vendre des
livres : « Vendredi matin, on pouvait acheter du livre partout, sauf
dans les librairies. Or, contrairement au mois de mars, nous sommes équipés en
masques, gel, protections en Plexiglas », résume Anne Martelle, nouvelle
présidente du Syndicat de la librairie française (SLF) et directrice de la
librairie Martelle à Amiens. « Je comprends la fermeture des
librairies : le seul baromètre, ce sont les places en réanimation et la santé
mentale de nos soignants. On a de la chance de pouvoir faire du click and
collect. Ce qui me met en colère, c’est la gestion de la pandémie qui nous
accule au confinement » tempère Lucie Eple.
Après une négociation, vendredi
30 octobre, avec les ministres de l’Économie et de la Culture, Bruno Le
Maire et Roselyne Bachelot, et les représentants des grandes surfaces
alimentaires (Carrefour, Leclerc, Auchan…) et spécialisées (Fnac-Darty), le SLF
a obtenu l’interdiction de la vente de livres dans ces enseignes. « Une
victoire amère, selon Anne Martelle. Le livre n’en sort pas
grandi et c’est une autoroute pour Amazon : on lui donne les clés de la
librairie française. » Cheval de bataille du syndicat, la négociation
des tarifs postaux, qui favorisent grandement le géant du Net, doit être mise
sur la table cette semaine.
En attendant une possible réouverture
après réévaluation, dans quinze jours, des conditions sanitaires, les libraires
s’organisent. Beaucoup ont adhéré à des associations, comme Parislibrairies ou
Librairies 93, qui mutualisent des plateformes permettant de réserver des
livres en ligne. « On a créé un site Internet, grâce au soutien de la
Drac (Direction régionale des affaires culturelles), une newsletter : on essaie
de maintenir autrement le lien humain », témoigne Charlotte Desmousseaux.
Car la période, avant les fêtes de Noël, est cruciale. « Entre novembre
et décembre, c’est un quart du chiffre d’affaires annuel qui se joue. Lors du
premier confinement, le click and collect n’a représenté que de 5 à 10 %
du chiffre d’affaires », précise Anne Martelle. Si la profession n’a
pas trop souffert grâce aux aides publiques (prêts garantis par l’État,
activité partielle, aides du Centre national du livre et de l’Adelc –
Association pour le développement de la librairie de création) et au report des
échéances des fournisseurs, la situation reste extrêmement fragile et les
conditions de travail difficiles : « La seule variable d’ajustement, ce
sont les masses salariales. Un libraire seul va renoncer à employer un CDD en
fin d’année à cause d’une trésorerie tendue », explique Amanda
Spiegel, directrice de Folies d’encre à Montreuil et présidente de la
commission commerciale du SLF, qui s’apprête à négocier de nouveaux reports
d’échéances auprès des distributeurs. Pour tous, ce qui se joue en ce moment
est un choix de société : « Nos clients acceptent d’attendre cinq jours
au lieu de commander sur Amazon, la prise de conscience politique est
importante », se réjouit Lucie Eple. « Le livre, ce n’est pas
l’hôpital et la nourriture. Mais on est dans une société violente, et on a la
possibilité de reprendre le temps, de se poser et de se divertir en famille, de
réfléchir, de travailler l’esprit critique, c’est tellement dommage de ne pas
se saisir de ça », déplore Amanda Spiegel.
Ce dimanche, Bruno Le Maire annonçait des mesures
pour « rétablir l’équité » entre les petits commerces et les
grandes surfaces, annonçant des baisses de jauge de clients accueillis dans la
grande distribution. « Je souhaite qu’on puisse rouvrir le plus grand
nombre de commerces le plus vite possible », a-t-il ajouté.
Rendez-vous le 12 novembre, lorsque le gouvernement annoncera les suites
du reconfinement.
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