Pénétrer dans le livre monument de Jacques-Armand
Cardon, c’est découvrir le savoir-faire d’un graveur, l’élan d’un poète et la
sagesse d’un philosophe.
La Cathédrale de Cardon
contient tout : ce qui est, ce qui a été et ce qui n’est pas encore. Nu, de dos,
Cardon nous prête son épaule pour recueillir derrière lui les traces de son
témoignage, une vie sublimée par l’imaginaire, un parcours en traversées
symboliques jalonné de références et d’expériences vécues.
Architecture mentale de la mémoire
Au total, 120 dessins grand format à la
plume qui, à la manière des eaux-fortes, vibrent en clair-obscur : les plus
anciens datent des années 1960. Travail de constance, de patience, la
détermination de Cardon se lit trait par trait, pierre après pierre à travers ces
milliers de portes, de tours, de coursives et d’impasses qui reconstruisent
l’architecture mentale de sa mémoire : un monument gigantesque, à l’image de
l’enfermement infini de la condition humaine. Aux fondations, les hommes se
sculptent aux pieds des colonnes alors que surgissent dans les oculus le
professeur Nimbus ou les Pieds nickelés. Pour nous guider dans le dédale de sa
psyché, avant de dérouler l’énigme de ses images sans texte, Cardon livre dans
un préambule émouvant ses souvenirs d’enfant.
Abîmes vertigineux ou horizon émancipateur
Né en 1936, il a 6 ans quand son
père, prisonnier au stalag, meurt. Les arcs-boutants de Notre-Dame de Paris
deviennent son refuge. Il y croise Jésus volant à califourchon sur sa croix
avant de reprendre sa route avec pour tout bagage un sac de marin et le
cercueil de son père. Un lombric envahit les couloirs, annonce la guerre, la
déportation, l’Occupation, les absurdités de la condition ouvrière, la
production surréaliste d’artefacts inutiles, les crimes des puissants. Des
hommes tombent dans les abîmes vertigineux, d’autres s’inventent des ailes pour
s’envoler vers la lumière qui s’engouffre entre les murs, vers l’horizon
émancipateur du savoir et de la création.
Sans Dieu ni maître, Cardon s’est refusé
ouvrier pour se fabriquer artiste. Il en conçoit un rejet viscéral du
totalitarisme, de l’autorité des chefs à la hauteur de son amour inconditionnel
pour l’humanité opprimée. Dans la cathédrale, l’incendie s’est déclaré. C’est
ici-bas qu’il faut avoir le courage de s’élever par la pensée.
Cathédrale, de Cardon, coédition le
Monte-en-l’air/Super Loto Éditions, 160 pages, 30 euros.
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