lundi 23 novembre 2020

« Cathédrale », de Cardon : la liberté aux trousses


Lucie Servin

Pénétrer dans le livre monument de Jacques-Armand Cardon, c’est découvrir le savoir-faire d’un graveur, l’élan d’un poète et la sagesse d’un philosophe.

La Cathédrale de Cardon contient tout : ce qui est, ce qui a été et ce qui n’est pas encore. Nu, de dos, Cardon nous prête son épaule pour recueillir derrière lui les traces de son témoignage, une vie sublimée par l’imaginaire, un parcours en traversées symboliques jalonné de références et d’expériences vécues.

Architecture mentale de la mémoire

Au total, 120 dessins grand format à la plume qui, à la manière des eaux-fortes, vibrent en clair-obscur : les plus anciens datent des années 1960. Travail de constance, de patience, la détermination de Cardon se lit trait par trait, pierre après pierre à travers ces milliers de portes, de tours, de coursives et d’impasses qui reconstruisent l’architecture mentale de sa mémoire : un monument gigantesque, à l’image de l’enfermement infini de la condition humaine. Aux fondations, les hommes se sculptent aux pieds des colonnes alors que surgissent dans les oculus le professeur Nimbus ou les Pieds nickelés. Pour nous guider dans le dédale de sa psyché, avant de dérouler l’énigme de ses images sans texte, Cardon livre dans un préambule émouvant ses souvenirs d’enfant.

Abîmes vertigineux ou horizon émancipateur

Né en 1936, il a 6 ans quand son père, prisonnier au stalag, meurt. Les arcs-boutants de Notre-Dame de Paris deviennent son refuge. Il y croise Jésus volant à califourchon sur sa croix avant de reprendre sa route avec pour tout bagage un sac de marin et le cercueil de son père. Un lombric envahit les couloirs, annonce la guerre, la déportation, l’Occupation, les absurdités de la condition ouvrière, la production surréaliste d’artefacts inutiles, les crimes des puissants. Des hommes tombent dans les abîmes vertigineux, d’autres s’inventent des ailes pour s’envoler vers la lumière qui s’engouffre entre les murs, vers l’horizon émancipateur du savoir et de la création.

 

Sans Dieu ni maître, Cardon s’est refusé ouvrier pour se fabriquer artiste. Il en conçoit un rejet viscéral du totalitarisme, de l’autorité des chefs à la hauteur de son amour inconditionnel pour l’humanité opprimée. Dans la cathédrale, l’incendie s’est déclaré. C’est ici-bas qu’il faut avoir le courage de s’élever par la pensée.

Cathédrale, de Cardon, coédition le Monte-en-l’air/Super Loto Éditions, 160 pages, 30 euros.

 

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