Dans les Alpes-Maritimes, le contact avec
les populations des zones sinistrées s’établit au compte-gouttes, révélant peu
à peu drames et incertitudes. Reportage dans le village de Breil-sur-Roya, tout
juste accessible deux jours après la catastrophe.
Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes). Envoyé
spécial.
Parmi les merveilles des
Alpes-Maritimes, impossible d’ignorer ces points de vue où, d’un même coup
d’œil, on peut observer la mer azur et les sommets alpins. Depuis samedi midi,
le vrombissement des hélicoptères s’est immiscé dans ce décor de carte postale.
Leurs incessants allers-retours entre la côte et les vallées montagneuses de la
Vésubie, de la Tinée et de la Roya sont venus obscurcir le ciel azuréen, après
que les nuages de la tempête Alex ont fini de semer la mort et l’effroi dans
tout le département.
Huit personnes étaient encore portées
disparues, dimanche à midi, dix autres activement recherchées,
1 000 pompiers mobilisés pour se porter au secours des populations de
l’arrière-pays niçois. Et dans tous les esprits étaient gravées les images insoutenables
qui circulent depuis trois jours sur les réseaux sociaux.
Parmi elles, celle d’une habitation de la
commune de Roquebillière (voir notre photo), cernée, vendredi soir, par un
torrent d’une violence inouïe, accompagnée des mots du journaliste Grégory
Leclerc, du quotidien régional Nice-Matin. « Dans cette
maison (…), il y avait un couple de personnes âgées, que nous avons vu nous
faire des signes jusqu’au bout, à l’aide d’une petite lampe, écrit-il. Peu
après (…), leur maison a été emportée avec eux dans la Vésubie en furie. » Ils
avaient 93 et 98 ans et ont refusé d’abandonner leur demeure quand les
secours sont venus les chercher. Poussés par la peur, d’autres, eux aussi
happés par les eaux déchaînées, ont au contraire choisi de prendre leur voiture
pour fuir avant de se faire piéger. Des pompiers également, envoyés en mission
pour porter secours à ces populations frappées, dans la soirée et la nuit de
vendredi à samedi, par les pluies diluviennes et le vent, font partie des
disparus.
Samedi au matin, le soleil est revenu
inonder de lumière les vallées ravagées. Chacun tente alors de prendre des
nouvelles d’un parent, d’un ami, d’un collègue. « C’est
incroyable, lance une habitante de la vallée de la Roya contactée par
un proche. Le fleuve a complètement changé de lit. Je ne reconnais pas
le village. Des maisons ont disparu. Je n’ai pas de nouvelles de ma mère.
Aucune de mon frère non plus. J’ai réussi à connecter mon téléphone à un réseau
italien mais nous n’avons plus d’électricité, plus d’eau… Et la piste jusqu’au
village est impraticable. »
D’autres moins violemment touchés n’en
sont pas moins choqués. « Certains sont plus en galère que nous, répond
Frédéric à une connaissance qui s’inquiète de son sort. Ici, à La
Bollène-Vésubie, nous avons été plutôt épargnés… Deux pompiers disparus quand
même… » À Sospel, dans la vallée de la Bévéra, une élue locale
contactée par l’Humanité tente de faire le point par
SMS : « Je suis bloquée chez moi. Éboulement sur ma piste. On attend
que ça se stabilise pour intervenir. Quant aux autres, c’est assez compliqué
pour certaines familles : évacuations, etc. Pas de nouvelles des proches
et camarades de la vallée de la Roya. Nous ne pouvons pas y accéder par les
routes et les communications sont coupées. Les pompiers, au tunnel de Tende,
ont été évacués par les Italiens et hélitreuillés ce matin. Là-bas, plus de
route du tout, du tout. Voilà. Même les élus locaux sont dans l’attente de
nouvelles. »
Le lendemain matin, un accès à la vallée
frontalière de la Roya est finalement débloqué. En partant de Nice, il faut
d’abord monter à l’Escarène, dans la vallée du Paillon, passer le col de Braus,
à 1 003 mètres d’altitude, redescendre vers Sospel, où coule la Bévéra,
puis accéder au col de Brouis, à une douzaine de kilomètres au-dessus de
Breil-sur-Roya. Au fur et à mesure du parcours, la route se couvre de plus en
plus d’arbres couchés, de poteaux électriques cassés, d’éboulements, de boue…
Arpenter ces routes déjà particulièrement sinueuses devient un véritable
slalom. Les murs de pierre continuent de cracher l’eau accumulée et, peu avant
d’accéder enfin à Breil, des hommes en jaune, à l’aide de pelles et de
chasse-neige, travaillent à rendre la voie plus praticable.
En milieu de matinée, en tout cas, une
colonne d’une trentaine de camions circule à vive allure sur cette route. Des
sapeurs-pompiers venus de l’ouest du département, des unités de Force 06, des
marins-pompiers de Marseille… « Enfin, les secours arrivent », lâche
André Ipert, ex-maire de la commune, battu lors des dernières municipales. Sur
un parking à l’entrée du village, il discute avec quelques habitants excédés
par l’absence d’eau, d’électricité et de moyens de communication depuis bientôt
48 heures.
« Neuf ponts ont été emportés, ajoute l’ancien édile. Les deux tunnels
en direction de Vintimille sont gravement endommagés. La route plus bas n’est
plus qu’en pointillé. » La commune s’étend, en outre, dans les
montagnes tout autour où se situent plusieurs hameaux : Libre, Piène haute,
Piène basse, Bancao… Tous sont aujourd’hui inaccessibles et les nouvelles des
personnes qui y habitent arrivent au compte-gouttes. « J’ai eu des
amis, à Libre, dont la maison a été emportée, raconte Sylvain Gogois,
un responsable communiste de l’association Roya citoyenne. Heureusement,
ils ont été évacués juste avant. En revanche, je n’ai pas de nouvelles de ma
fille. » Il en aura peu après. Elle s’est rendue au point de
distribution en eau potable improvisé, ce dimanche matin, par la municipalité.
« On a reçu à peine
4 000 litres, explique Renaud
Lefebvre, conseiller municipal, devant le coffre vide de sa voiture, rempli de
bouteilles une heure plus tôt. Ça fait moins d’un litre et demi par
personne. On a été livrés ce matin par le train. » L’existence de
cette voie de chemin de fer devient d’une évidente nécessité pour toute la
population. « Nous avons demandé la gratuité des titres de transport et
l’augmentation du nombre de trains pour permettre le ravitaillement de la
vallée », indique d’ailleurs Najim Abdelkader, le responsable de la
CGT cheminots des Alpes-Maritimes.
Ici, tout le monde partage le même
sentiment. « On a eu l’impression d’être abandonnés par la
France », insiste, par exemple, Lydie, parmi les personnes qui
discutent avec l’ancien édile. « On a le sentiment que les secours sont
arrivés plus vite dans les vallées de la Vésubie et de la Tinée, où Éric Ciotti
est élu », abonde un autre habitant. De toute évidence, l’acheminement
des bouteilles d’eau, par la SNCF, et l’arrivée des camions de secours, ce
dimanche matin, viennent enfin briser l’isolement dans lequel se trouvait toute
une population.
« Les unités aquatiques vont maintenant
faire le tour des voitures ensevelies », reprend Renaud Lefebvre. Et d’affirmer : « Je
ne vois pas comment le nombre de morts pourrait être en dessous de dix pour
notre commune. » Lors de sa venue, samedi à Nice, le premier ministre,
Jean Castex, a d’ailleurs lui-même fait part de sa « vive inquiétude » sur
le bilan définitif de la tragédie météorologique qui s’est jouée ce week-end
dans les Alpes-Maritimes. Une hantise partagée par tous, ici, et qui nourrit
toutes les inquiétudes vis-à-vis des douze villages, au moins, encore
complètement coupés du monde, selon le recensement des autorités.
Trois d’entre eux, Tende, Fontan et
Saorge, sont situés au-dessus de Breil-sur-Roya. « Vingt collègues sont
partis à pied pour se rendre compte de la situation », indique, ce
dimanche matin, un jeune pompier cannois mobilisé à Breil et visiblement
épuisé. Quelques habitants ont décidé de prêter main-forte aux secours en se
rendant également dans les communes isolées plus haut dans la montagne. Pour
l’instant, l’heure est à l’entraide et à la recherche de moyens pour subvenir à
l’essentiel. « Il faudra dans l’avenir questionner plusieurs aspects de
l’aménagement du territoire », souligne cependant Sylvain Gogois. La
tempête qui vient de ravager l’arrière-pays niçois va sans aucun doute laisser
des traces pour longtemps.
Émilien Urbach
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