Exclus de la prime Covid ou des augmentations de
salaire, nombre de soignants ne sont pas sûrs de repartir au front alors que la
deuxième vague de coronavirus ne cesse de monter. Excédés par le manque de
reconnaissance, certains manifestent ce jeudi 15 octobre, à l’occasion d’une
journée d’action dans le secteur.
« Pas une question de moyens, mais
d’organisation. » Cette énième petite phrase prononcée
par Emmanuel Macron, la semaine passée, à l’hôpital Rothschild à Paris, a eu le
don d’attiser un peu plus la colère des soignants. Alors que la deuxième vague
de la pandémie prend chaque jour de l’ampleur, les professionnels, qui se
mobilisent ce jeudi à travers le pays, ne savent plus comment alerter sur le
manque de bras disponibles. Exténués par la crise du printemps dernier, tous
souffrent en plus de la non-reconnaissance de leur sacrifice.
Après l’héroïsation, l’humiliation
Au centre hospitalier Guillaume-Régnier à
Rennes (Ille-et-Vilaine), des centaines de fonctionnaires de la sphère
médico-sociale ont ainsi été exclus de l’augmentation de salaire de
183 euros octroyée lors du Ségur de la santé. Même si le gouvernement
parle maintenant de débloquer, avec les départements, 200 millions d’euros
pour augmenter les salaires des aides à domicile, le mal est fait. Cette
première décision d’exclusion a été vécue comme la marque d’un profond
mépris. « Un jour, on est “héroïques” et le lendemain, c’est
l’humiliation totale, lâche Fanny Beloeil-Henry, aide
médico-psychologique au sein de la maison d’accueil spécialisée et élue
CGT. On ne nous considère pas comme des soignants à part
entière ! Si, durant le confinement, il n’y a eu aucun cas de Covid chez nos
patients présentant des handicaps lourds, c’est bien parce que nous étions très
attentifs et que nous avons été aidés par la réserve sanitaire. Ces protocoles
renforcés ont généré un surcroît de travail. Mais les conditions sont déjà
effroyables en temps normal : on nous rappelle sur nos temps de repos, on se
remplace les uns les autres… » Une pression mesurée dans la dernière
enquête sur l’état de santé des salariés français, publiée mardi par l’Ifop pour
Malakoff Humanis. Les travailleurs du médico-social y sont les plus nombreux à
déclarer subir « plus de tensions au travail » qu’avant
(20 %).
En lutte depuis fin septembre, ils
refusent de voir les 40 000 agents du médico-social de France laissés sur le
bord de la route. « Il y a un moment qu’on demandait des
revalorisations, déplore Rodolphe Verger, secrétaire de la CGT de
Guillaume-Régnier. Là, l’inégalité de traitement est telle qu’un
personnel d’un autre service de l’hôpital déplacé dans ce secteur perdra ses
183 euros ! » Pour Fanny, la ligne rouge a été dépassée. « Si
on nous demande de refaire des efforts, sans renforts, ça sera impossible. Avec
le sous-effectif actuel, nous avons dû suspendre les réunions de synthèse sur
les projets d’accompagnement. Ça n’avait plus aucun sens avec juste trois
soignants autour d’une table. »
Les étudiants mettent le hola
Projetés en première ligne du front en
mars, les étudiants infirmiers de 2 e année ont aussi décidé de mettre le hola. Une
centaine d’entre eux ont manifesté la semaine dernière devant le campus Picpus,
à Paris. Quelques jours avant le début des stages, début octobre, 440 élèves
des instituts de formation en soins infirmiers d’Antoine Béclère, du
Kremlin-Bicêtre, de Charles-Foix et du centre Picpus ont eu la surprise
d’apprendre l’annulation de ces derniers. À la place, l’Assistance publique des
hôpitaux de Paris (AP-HP) leur impose de répondre au téléphone sur les
plateformes Covidom et Covisan (suivi des patients Covid) ou de réaliser des
tests PCR dans les aéroports de la capitale.
« J’avais trouvé moi-même mon stage. Je
sais qu’il est perdu. Je suis en colère, explique
Camille, 24 ans. Je veux bien qu’on nous réquisitionne, mais qu’on
ne fasse pas passer ça pour de la formation ! Je n’ai pas encore mis les pieds
à l’hôpital. Lors de la première vague, j’ai exercé trois mois en tant
qu’aide-soignante en unité Covid en Ehpad. C’est dur d’approcher le soin de
cette manière, de tout suite avoir le sentiment de mal faire son
travail. C’est aussi violent de s’occuper seule de six patients et des
toilettes mortuaires. » Pour ces trois mois de labeur, le salaire
plafonnait à 250 euros…
« On s’est sentis bon à boucher des trous,
de la main-d’œuvre au rabais ! » Camille, étudiante
Si les étudiants franciliens ont obtenu
une prime de 1 000 à 1 500 euros de la région, c’est loin d’être le cas
de tous les élèves du pays. « On s’est sentis bon à boucher des trous,
de la main-d’œuvre au rabais ! Assène-t-elle. Cette fois, ils
nous ont proposé 138 euros de rémunération par semaine. Nous avons réussi
à obtenir 238 euros. Mais notre première revendication, c’est avant tout
d’être formés. Dans ma promotion, certains parlent déjà d’aller bosser dans le
privé. Il y a aussi eu des abandons. » La motivation et la qualité du
cursus risquent effectivement de s’en ressentir. Comme le précise David
Treille, secrétaire SUD santé à Antoine-Béclère (Hauts-de-Seine), « 70 %
des étudiants de deuxième année n’ont toujours pas travaillé sur le projet de
soins. Et ceux qui ont effectué des stages ces derniers mois, notamment en
réanimation, n’ont pas pu bénéficier d’un vrai tutorat, compte tenu de la
surcharge des soignants. C’est un comble, on prend du retard dans la formation
de personnels dont on aura pourtant vite besoin » !
Chair à canon
Dans la prochaine période, de nombreux
hôpitaux ou Ehpad savent qu’ils ne pourront plus compter sur d’autres précieux
renforts. Écœurés par le refus du versement de la prime Covid, niés dans leur
professionnalisme, beaucoup d’intérimaires sur les 10 000 du secteur de la
santé refusent de servir une nouvelle fois de chair à canon. « On les a
appelés du jour au lendemain, notamment pour remplacer des professionnels
fragiles ou en arrêt maladie à cause de la pandémie », souligne
Antoine Cordier, délégué syndical CGT à la société de travail temporaire Appel
médical.
« Je préfère rester au chômage chez moi et
ne pas aller travailler du tout ! » Stéphanie, aide-soignante en Ehpad
Stéphanie, aide-soignante dans la Nièvre,
a ainsi enchaîné 180 heures par mois en Ehpad et en soins de suite et de
réadaptation (SSR). « Les soignants en poste n’arrêtaient pas de nous
répéter “heureusement que vous étiez là !” lance-t-elle. J’ai
seulement pris quelques jours pour souffler en septembre. Je suis claquée et
dégoûtée. Nous sommes les oubliés. Je ne demande pas le tapis rouge, mais un
minimum. » Avec quelques collègues intérimaires, elle a pris une
décision radicale. En cas de reconfinement, il ne faudra pas compter sur
eux. « Je préfère rester au chômage chez moi et ne pas aller travailler
du tout ! » tranche la trentenaire.
Puis la reconversion...
Certains ont carrément choisi de changer
de cap. Oussama, 31 ans, a tombé la veste d’aide-soignant intérimaire dans
un centre hospitalier bordelais pour endosser celle de conseiller en matériel
médical. « J’ai répondu présent de A à Z pendant Covid et je n’ai eu
aucune reconnaissance ! S’étrangle-t-il. Quand j’ai demandé
pourquoi nous n’avions pas la prime, la structure et l’agence d’intérim se sont
renvoyé la balle. En tant que travailleur temporaire, je n’ai eu le droit à
aucun suivi psychologique après ce moment hyper-traumatique. Si j’y allais la
boule au ventre, je suis fier d’avoir participé à l’élan de solidarité. Mais
quand on m’a proposé un CDI, je suis parti pour me reconvertir. »
« Même pour un CDI, je ne le ferai pas !
Toutes mes collègues intérimaires me disent qu’elles ne viendront pas en cas de
surchauffe. » Liliane, aide-soignante
Liliane, aide-soignante à Rennes (Ille-et-Vilaine), a
aussi songé un temps à bifurquer. Mais, à 58 ans, l’intérimaire a préféré
monter au créneau. En contrat dans un établissement pour personnes âgées
dépendantes pendant le pic de la crise, la Bretonne en a vu de toutes les couleurs. « C’était
flippant, on avait mal aux bras, à la tête, on était sous l’eau. Une infirmière
coordinatrice nous a accusés de ne pas avoir fait assez attention aux mesures
de précaution. J’ai pris ça limite, comme une accusation de meurtre ! Mais j’ai
continué, alors que je souffre d’une maladie pulmonaire. Maintenant, fini de
jouer les travailleurs silencieux ! » Désormais en CDD dans un CHU,
hors de question de bosser au-delà du planning : « Même pour un CDI, je
ne le ferai pas ! Toutes mes collègues intérimaires me disent qu’elles ne
viendront pas en cas de surchauffe. Je manifesterai aujourd’hui contre ce
manque de considération et de moyens. Il faut montrer que le rapport de forces
est de notre côté ! »
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