L’exposition « Aux alentours du congrès de Tours.
1914-1924. Scission du socialisme et fondation du Parti communiste », revient
en détail sur la naissance du PCF.
Le visiteur entre et tombe de suite sur le
bureau de Jean Jaurès. Un meuble noir, modeste et long, qui a vécu. On devine
les assauts des coups de plume et des taches d’encre qui l’ont recouvert
jusqu’au 31 juillet 1914. C’est sur cette pièce de collection que s’ouvre
l’exposition dédiée aux 100 ans du congrès de Tours, organisée jusqu’au
31 janvier 2021 au musée de l’Histoire vivante à Montreuil
(Seine-Saint-Denis). « Ce congrès historique, qui a façonné le visage
de la gauche et du mouvement ouvrier tout au long du XX e siècle
et jusqu’à nos jours, n’est pas un événement soudain. C’est le résultat d’un
processus, qui ne se fige pas en décembre 1920 avec la fondation du Parti
communiste. C’est pourquoi cette exposition va de 1914 à 1924 », explique
le président du musée Frédérick Genevée, co-commissaire avec Véronique
Fau-Vincenti et Éric Lafon.
Une décennie d’une violence inouïe, qui
démarre avec l’assassinat de Jaurès et le déclenchement de la Première Guerre
mondiale, en 1914, et s’achève avec la panthéonisation du dirigeant de la SFIO
et fondateur de l’Humanité, en 1924, année de la mort de
Lénine. « C’est sur ce bureau que Jaurès signe un édito retentissant
dans l’espoir de maintenir la paix et d’éviter la boucherie de 14-18, mais son
meurtrier, Raoul Villain, en a décidé autrement », dit Éric Lafon,
depuis la première salle de l’exposition. Unes de journaux, bustes, gravures et
photographies de soldats accompagnent cette plongée des socialistes dans la
guerre. « Ils n’ont pas su l’empêcher malgré leurs efforts. Des
divergences apparaissent entre les défenseurs de l’union sacrée, qui
participent au gouvernement et appellent à protéger la patrie et la République
en battant coûte que coûte l’Allemagne, et ceux qui vont se rendre aux
conférences de Zimmerwald en 1915 et Kienthal en 1916, dans l’espoir de mettre
un terme au massacre pour que le mouvement ouvrier international
retrouve son élan », résume Éric Lafon.
À l’écoute des grands discours de Cachin, Zetkin ou Blum
L’année 1917 est marquée par un nouveau
séisme : la révolution russe. Au sortir de la guerre, la SFIO subit de plus un
échec aux législatives de 1919. Les grandes grèves qui suivent jusqu’en 1920
arrachent la journée de huit heures, mais subissent une sévère répression
d’État. « C’est dans ce contexte qu’en 1920 se pose la question
d’adhérer à la III e Internationale
communiste créée à Moscou. Il y a aussi dans tous les esprits cette réalité :
les socialistes français sont encore traumatisés par l’échec de la Commune de
Paris et observent que, trois ans après 1917, les révolutionnaires russes sont
toujours au pouvoir », expose Eric Lafon. Trois cents délégués de la
SFIO se réunissent alors à Tours, pour décider de l’avenir de leur
formation. « Ils ont cherché à répondre aux questions majeures qui se
posent à tous ceux qui veulent changer le monde : quels objectifs et quelle
organisation militante pour y parvenir », ajoute Frédérick Genevée.
Le reste appartient à l’histoire. Au
milieu d’une foule de photos, du seul film réalisé à l’époque, et d’une
kyrielle de coupures de presse, le visiteur est invité à revivre le congrès de
Tours dans les moindres détails. La salle du manège dans laquelle se sont tenus
les débats a été reconstituée. Il est possible d’y écouter les grands discours
de Marcel Cachin, qui plaide pour l’adhésion à la IIIe Internationale, et
de Léon Blum, qui la rejette pour « garder la vieille maison » socialiste.
Le vote des militants ayant déjà eu lieu, très largement en faveur de
l’adhésion, le suspens majeur est de savoir où iront Jean Longuet et ses
soutiens : avec les communistes et Cachin, ou avec les socialistes de Blum. Le
petit-fils de Karl Marx défendait l’adhésion à l’Internationale communiste,
mais voulait renégocier les conditions fixées par Lénine. Le télégramme envoyé
à Tours par Zinoviev et le discours de la marxiste allemande Clara Zetkin le
poussent vers la vieille maison. « Après avoir visité l’exposition, et
entendu Cachin, Blum, Zetkin et Longuet, nous proposons au visiteur de voter,
pour voir si cent ans après le résultat serait le même », s’amuse
Frédérick Genevée.
« À l’origine des plus belles conquêtes populaires »
En 1920, il a abouti à « une scission du
socialisme, avec la fondation du Parti communiste et le maintien d’un Parti
socialiste qui existent toujours et se disputent la figure de Jaurès », ajoute
l’historien. Les frères ennemis se sont éloignés et rapprochés pendant un
siècle. Mais qu’en pensent les dirigeants actuels, et quels regards portent-ils
sur Tours ? L’exposition s’achève sur des textes d’Olivier Faure, Jean-Luc
Mélenchon et Fabien Roussel. Ce congrès constitue une « déchirure », pour
le premier secrétaire du PS, qui estime que « l’ennemi n’est pas le
camarade » et que « l’heure est au rassemblement ». L’insoumis
rapproche Cachin et Blum, rappelant que celui-ci veut en 1920 abolir la
propriété privée : « voilà le programme révolutionnaire d’alors et
d’aujourd’hui », l’humanité étant « mise au pied du mur de
reconnaître ses biens communs sans lesquels elle ne peut survivre ». « Qui peut
ignorer que notre pays n’a pas la même physionomie selon l’influence qu’y
exerce le PCF ? », interroge le secrétaire national du PCF, estimant
que, si les « tragédies et désillusions » du XXe siècle
ne pouvaient être anticipées, son parti a été « à l’origine des plus
belles conquêtes populaires » de 1936, 1945, 1968 et 1981. Et de
conclure : « L’ambition des congressistes de Tours n’a pas pris une
ride. »
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