Au lendemain du Ségur de la santé en forme d’échec
pour le gouvernement et à la veille d’une nouvelle flambée d’hospitalisations
liées au Covid-19, Mireille Stivala, (secrétaire générale de la CGT santé),
Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et porte-parole de l’Association des
médecins urgentistes de France (Amuf), Yasmina Kettal, infirmière aux urgences
à l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis) et membre du collectif Inter-Urgences,
et Alain Bruneel, (député PCF du Nord), ont exposé leurs solutions pour un
hôpital de demain lors de la Fête de l’Humanité.
Les hôpitaux qui ont tenu le choc face à
l’irruption du Covid-19 en mars, avril et mai s’apprêtent à remonter en
première ligne dans la prise en charge des malades les plus graves, alors que
la France a passé le dramatique cap des 30 000 morts. Mais le divorce semble
consommé entre des hospitaliers, mobilisés depuis plus d’un an pour leurs
salaires, effectifs et capacités d’accueil, et les mesures issues du Ségur de
la santé de cet été, qui n’eut de Ségur que le nom.
Avec 7 500 recrutements, une prime de 183 euros octroyée au personnel,
4 000 lits en renfort en cas de besoin, les mesures contenues dans le Ségur de
la santé ne sont pas à la hauteur des revendications des professionnels de
santé. Pourquoi cette concertation a-t-elle échoué ?
MIREILLE STIVALA Depuis plus d’un an, tous les salariés de la
santé et de l’action sociale se sont mis en mouvement. Ils ont dénoncé les
grandes difficultés de prise en charge de la population et un système
hospitalier qui ne pouvait pas répondre à la demande. Ce Ségur a échoué car
beaucoup de promesses n’ont pas été tenues. Il y a une grande déception du
personnel. Les collectifs et les organisations syndicales avaient un socle de
revendications commun : 300 euros pour tout le personnel. Ça fait vingt
ans qu’il n’y a pas eu d’augmentation significative dans ce secteur. Il fallait
enclencher pour toutes les professions des discussions sur les grilles
salariales.
Recruter des personnels est le seul indicateur qui
fera voir que, effectivement, on se préoccupe des conditions de travail des
salariés. » MIREILLE STIVALA
Il faut aussi regarder du côté des
filières ouvrières, qui ont fait ce qu’est l’hôpital et dont on ne parle
jamais. On devrait créer 100 000 emplois immédiatement pour l’hôpital, 200 000
emplois dans les Ehpad et encore d’autres emplois dans le secteur social et
celui de la psychiatrie. Recruter des personnels est le seul indicateur qui
fera voir que, effectivement, on se préoccupe des conditions de travail des
salariés. Pour qu’ils puissent être aux 35 heures réelles. Notre
organisation va lancer une campagne de recensements dans les établissements
pour connaître les besoins des salariés.
YASMINA KETTAL On n’a pas interrogé ce qui nous a tous poussés
à nous mobiliser, c’est-à-dire l’objet de notre travail. On ne nous a pas
proposé de mesures tangibles qui améliorent les conditions de travail et de
soins. Tout cela a été totalement absent. Or, c’est ce qui manque pour redonner
du sens et de l’attractivité. La question des salaires est importante. Nous
avons des problèmes de recrutement car les métiers ne sont pas valorisés. Les
urgences, c’est un peu le carrefour de toutes les galères. On se retrouve dans
des situations assez catastrophiques. Il a fallu une crise sanitaire pour qu’on
commence à grappiller deux ou trois améliorations. Au vu de ce qui s’est passé
et de l’investissement des collègues durant la crise du Covid, se retrouver
face à un demi-Ségur est donc une grosse déception.
Alors que le rôle des agences régionales de santé (ARS) a été critiqué dans
la gestion de la pandémie, pensez-vous que celle de la gouvernance a été
suffisamment abordée dans le cadre du Ségur ?
CHRISTOPHE PRUDHOMME Rien n’a changé. Le premier ministre a annoncé
lui-même, durant le Ségur, qu’une des solutions était la mise en œuvre plus
rapide de la loi « Ma santé 2022 ». Celle-ci maintient ces ARS qui ne servent à
rien et sont parfois même contre-productives. Aujourd’hui, ce sont les
agences régionales de santé qui organisent les tests et prélèvements (Covid),
et c’est une catastrophe. Les directeurs généraux d’ARS sont des préfets
sanitaires sans aucun contre-pouvoir du côté de la population, des soignants ou
des élus. Nous avions pris le pouvoir pendant la crise. Les directions
n’étaient là que techniquement, pour répondre à ce que nous demandions. Nous
sommes, hélas, revenus à la situation antérieure, voire pire. Par ailleurs,
nous sommes moins nombreux. Un certain nombre de collègues n’ont pas repris le
travail. D’autres, épuisés et déçus par le résultat du Ségur, démissionnent.
Nous devons augmenter tout de suite de 50 %
nos lits de réanimation. "
CHRISTOPHE
PRUDHOMME
Nous sommes aussi revenus au même nombre
très insuffisant de lits en réanimation, dont nous disposions avant la pandémie
(5 500). Or, on sait que les pays qui comptaient plus de lits que nous n’ont
pas fait face à une crise en termes de capacités d’hospitalisation. À
Marseille, pour quelques dizaines de malades supplémentaires, un certain nombre
de médecins alertent déjà sur leur incapacité à accueillir plus de patients. Si
nous voulons passer l’hiver dans de bonnes conditions, il faut ouvrir
immédiatement non pas des lits provisoires, saisonniers, comme l’a annoncé le
ministre Olivier Véran lors du Ségur de la santé, mais des lits pérennes. Nous
devons augmenter tout de suite de 50 % nos lits de réanimation.
Il faut accepter que l’activité ne soit
pas constante, qu’il y ait en permanence des lits vides et que les personnels
se reposent. Qu’ils puissent partir en formation et qu’ils prennent des
pauses dans la journée. Gérer un hôpital comme un hôtel avec un taux
d’occupation de 100 % entraîne une surmortalité. Dans un hôpital, il doit
y avoir au minimum 20 % de lits libres en permanence et, dans les
réanimations, 30 à 35 %, parce qu‘ils seront disponibles en cas
d’augmentation d’activité. Donc, la question de l’emploi est essentielle.
Alain Bruneel, vous aviez initié un tour de France des hôpitaux en 2018,
bien avant la crise du Covid. Que contient la loi de programmation pour
l’hôpital et les Ehpad que vous aviez proposée en mai dernier ?
ALAIN BRUNEEL Avec les parlementaires communistes, nous avons
visité 160 établissements. Nous étions dans un état d’esprit d’écoute. On a
entendu beaucoup de cris d’alerte, de souffrance. Les personnels étaient aussi
force de propositions. Ça fait plus deux ans qu’il y a des initiatives, des
manifestations. Bien avant le Ségur, le diagnostic avait été posé sur le
terrain et nous avions des propositions sur le papier. À l’Assemblée nationale,
nous intervenons au niveau du projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS)
qui tombe en octobre. Là, il y a une enveloppe qui est attribuée : l’Objectif
national des dépenses de l’assurance-maladie (Ondam).
Notre loi de programmation propose
d’inverser le questionnement : que fait-on pour les hôpitaux et comment
trouve-t-on de l’argent ? De quoi a-t-on besoin aujourd’hui ? Ne faut-il pas
tout mettre à plat, en partant des bassins de vie ? Cette loi doit mettre en
place les revendications des soignants à travers leur organisation, car ils
savent mieux leurs besoins mieux que nous. Nous, parlementaires, nous ne sommes
que des relais, mais nous irons jusqu’au bout. Quand on regarde les
milliards que le gouvernement prévoit pour les entreprises dans le cadre du
plan de relance…
Sur 2019, il y a également eu
63 milliards d’exonérations au niveau des cotisations sociales ; 93
dispositifs permettent aux uns et autres de ne pas payer ces cotisations. Sur
la question de la dette des hôpitaux, l’État dit : « Je reprends
10 milliards, soit un tiers du montant de la dette, avec les intérêts, ça
va nous amener à 13 milliards. » Qui va payer ? Ce sont les
citoyens ! La CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale), qui
devait s’arrêter en 2024, va être prolongée jusqu’en 2033. L’État ne prend pas
ses responsabilités.
Quelle serait la mesure à prendre de toute urgence en faveur de l’hôpital ?
YASMINA KETTAL Le socle de base serait d’être
suffisamment nombreux pour pouvoir s’occuper des gens. Cela nous permettrait
d’avoir un service public de qualité. Pas une « qualité » telle qu’on l’a
aujourd’hui, répondant à des objectifs chiffrés, mais avec des effets
bénéfiques sur la population. Il y a des endroits où l’organisation est normée,
avec tant de soignants pour tant de malades. Ça pourrait être envisagé un peu
partout. Il faut arrêter de penser la logique de l’hôpital à flux tendus. On
entend souvent que les patients viennent aux urgences pour rien. Ce n’est pas
vrai.
Il faut arrêter de penser la logique de l’hôpital à
flux tendus... On doit avoir une politique de santé qui ne soit pas financière
mais axée sur le service rendu à la population. " YASMINA
KETTAL
Mon département de Seine-Saint-Denis est
un désert médical, notamment pour le suivi des pathologies chroniques. Il y a
peu de médecins généralistes ou de centres de santé. Nous nous retrouvons en
plein milieu d’un carrefour de dysfonctionnements malgré les bonnes volontés
des uns et des autres. Il faut que les moyens nécessaires soient donnés aux
territoires qui en ont le plus besoin. On doit avoir une politique de santé qui
ne soit pas financière mais axée sur le service rendu à la population.
CHRISTOPHE PRUDHOMME Il faut sortir de la
tarification à l’activité et de la rémunération à l’acte. Tant qu’on ne mettra
pas en place un système organisé autour de deux principes – le service public
et un financement intégral par la Sécurité sociale –, on ne s’en sortira
pas. Quand on parle de Sécu intégrale, on n’invente pas la poudre. Elle
existe en Alsace et en Moselle. Le dysfonctionnement majeur de notre
système de santé aujourd’hui relève de la mixité public/privé. On n’a jamais
été au bout des préconisations du programme du Conseil national de la
Résistance. On a conservé les assurances-maladie complémentaires et les
cliniques privées.
Le dysfonctionnement majeur de notre système
de santé aujourd’hui relève de la mixité public/privé. "
CHRISTOPHE
PRUDHOMME
La France est le pays d’Europe où la part
du secteur privé d’hospitalisation est la plus puissante. Si on prend ce qu’ils
appellent l’« or gris », c’est une catastrophe. Une partie de la mortalité des
Ehpad pendant la crise du Covid a été due au manque de personnel et à cette
gestion marchande, puisque la priorité n’était pas d’améliorer la prise en
charge des patients, mais d’augmenter les dividendes. Il faut réorganiser le
système de santé autour d’un service public de l’aménagement du territoire, en
mettant fin à ces assurances complémentaires cheval de Troie pour liquider la
Sécurité sociale et en instaurant un système de Sécu « collecteur unique,
financeur unique ».
Avec un tel système, on ferait de bonnes
économies permettant de dégager de l’argent pour limiter la hausse des
dépenses. Dans un pays riche et développé, la part des dépenses de santé dans
le PIB ne peut qu’augmenter. On a de la marge. Les États-Unis, pays où le
secteur de la santé est le plus marchand, sont à 17 % de PIB en dépenses
consacrées à la santé, avec un système moins bon que le nôtre. La différence
entre les 12 % de PIB qu’on dépense en France et leurs 17 %, c’est la
rémunération des actionnaires !
MIREILLE STIVALA Nous proposions de
supprimer la taxe sur les salaires, qui est un impôt injuste dans notre
secteur, ainsi qu’une reprise de la dette totale des hôpitaux publics. Car la
dette engendre des fermetures de lits, des suppressions d’emplois. Dans une société
qui se délite, il faut aussi développer le sens de nos métiers. Sur Parcoursup,
on s’est rendu compte que plus d’un million de jeunes s’intéressent aux
professions de la santé. Malheureusement, beaucoup de ces jeunes quittent vite
ces métiers.
Côté effectifs, 100 000 embauches à
l’hôpital public, 200 000 dans les Ehpad, 100 000 du côté des aides à domicile
seraient un minimum. Dans les Ehpad, cela a été chiffré. Il y a eu plusieurs
rapports sur le sujet, mais on n’arrive toujours pas à avoir les effectifs nécessaires.
Nous demandons un soignant par patient accueilli et qu’on regarde service par
service le ratio d’encadrement pour empêcher qu’on ait à composer chaque jour
avec des absences sans bornage de sécurité.
Notre démarche consiste à ce que les
salariés s’emparent de cette question de l’emploi et travaillent dans leur
établissement pour pouvoir objectiver leurs besoins. Les aides à domicile font
aussi partie intégrante de nos demandes sur l’accompagnement des personnes
âgées ou handicapées. On avait identifié de grandes difficultés
d’accompagnement des personnes avant, mais la crise a mis en lumière d’autres
problématiques.
ALAIN BRUNEEL Nous sommes en capacité de tout
changer. Il y a d’autres moyens financiers : l’égalité des salaires
hommes-femmes rapporterait 6,5 milliards d’euros, par exemple. Pour lutter
contre la fraude aux cotisations, il faudrait aussi recruter des agents. Si
nous laissons faire, ce sera bientôt la carte bleue qu’il faudra donner, et
plus la carte vitale ! L’hôpital est un bien commun, à nous de le défendre.
L’hôpital est un bien commun, à nous de le défendre.
"
ALAIN
BRUNEEL
Avec les PLFSS (projet de loi de finances
de la Sécurité sociale), depuis 2017, c’est 3,2 milliards d’économies qui
ont été réalisées sur les hôpitaux. Quand le président de la République dit que
la santé n’a pas de prix, qu’il le prouve. Avec les applaudissements à
20 heures, on a sensibilisé les gens. La solidarité a dépassé les portes
de l’hôpital. Il faut revenir à la table des négociations et forcer le
gouvernement à entendre ce qui se passe.
La journée de mobilisation dans la santé, le 15 octobre, c’est
justement l’occasion de rassembler, tous ces usagers qui ont applaudi à leurs
fenêtres ?
MIREILLE
STIVALA C’est dans la logique de la
poursuite du mouvement. Nous appelons les salariés, mais aussi les usagers à
nous rejoindre, ce jour-là. Nous allons avoir dans les prochains mois beaucoup
de mobilisations, on espère qu’elles seront fortes, soutenues, avec des
professionnels qui luttent déjà dans les établissements. Nous avons déjà réussi
à sauver des emplois et des services dans certaines structures comme à Sisteron
(Alpes-de-Haute-Provence), c’est une bataille au quotidien.
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