Un an après le suicide de la directrice d’école, le
collectif Christine Renon organisait, samedi, une marche pour ne pas oublier et
défendre le service public d’éducation en Seine-Saint-Denis.
Manteau noir, cheveux attachés dont le
vent agite quelques boucles folles autour de son visage masqué, Laurence n’est
pas très grande, ni très costaude. Mais elle s’accroche à sa pancarte, qui
paraît énorme. Dans le vent qui balaie les rues de Pantin (Seine-saint-Denis),
samedi après-midi, on se demande presque laquelle tient l’autre. Sur la planche
de bois, la dernière phrase de Christine Renon, dans la lettre qu’elle avait
laissée derrière elle, ajoute son poids symbolique : « Je ne pensais
pas que ce travail que j’ai tant aimé pourrait m’amener à ça. »
« Christine était une amie », raconte Laurence, qui enseigne à Paris. « J’ai
débuté avec elle. C’était quelqu’un de passionné, tellement engagée dans son
métier. Elle ne comptait pas ses heures. Et surtout, c’était quelqu’un de
drôle. Elle aimait la vie. » Pour elle, pas de doute : le suicide de
la directrice de l’école Méhul, sur son lieu de travail, le 21 septembre
2019, et sa lettre signée « Christine Renon, directrice épuisée »,
constituent « un acte politique. Mais, aujourd’hui, rien n’a changé.
L’école n’est pas une priorité pour nos dirigeants ». C’est cet acte
qui a conduit le collectif Christine Renon à appeler à cette « marche
contre l’oubli, pour la jeunesse et l’éducation » du
26 septembre.
Insuffisance des moyens humains et matériels
Pour le collectif, qui regroupe parents,
enseignants et tous les citoyens qui le souhaitent, Mathilde explique qu’il ne
s’agit pas de « refaire la même chose qu’il y a un an. Bien sûr, nous
continuons à interpeller sur les responsabilités de l’éducation nationale dans
le suicide de Christine, mais nous voulons poser la question de l’école dans le
département ». Ainsi, au souvenir de Christine Renon, se sont ajoutés
ceux de Kewi Yikilmaz et Djadje Traoré, 15 et 19 ans, deux élèves du lycée
d’Alembert d’Aubervilliers assassinés l’an dernier. Violence, insuffisance des
moyens humains et matériels, misère des services publics… sont dénoncés par le
collectif. Écharpe tricolore en bandoulière, Stéphane Peu, député PCF de
Seine-Saint-Denis, abonde : « Nous sommes le département avec le plus
fort taux de morts dus au Covid, celui aussi où le phénomène de rupture
scolaire a été l’un des plus forts pendant le confinement. Mais quand le
ministre Blanquer annonce au printemps qu’il va créer 2 500 postes de plus
pour la rentrée, il n’y en a aucun pour la Seine-Saint-Denis ! »
« Il faut améliorer les conditions
d’apprentissage des enfants dans tout le pays et surtout en
Seine-Saint-Denis », explique Daniel, son
fils sur les épaules. Ce dernier, scolarisé à Méhul, a eu quatre maîtresses
l’an dernier. Son père évoque le « choc collectif » et
la « déflagration » ressentis après le suicide de la
directrice, et cette institution, l’éducation nationale, qui « a fait
le minimum » pour aider et soutenir la communauté de cette école
traumatisée. Or « cette année, c’est la catastrophe intégrale, avec le
Covid en plus. Trois semaines après la rentrée il n’y a déjà plus de
remplaçants disponibles ». Pour Daniel, participer à cette manifestation,
c’est « faire en sorte que le geste de Christine se transforme en geste
collectif, que l’alerte soit enfin entendue ».
Dans le cortège qui enfle à vue d’œil à
mesure qu’il remonte les rues de la ville, Marie-Hélène Plard juge que « l’école
ne tient que par l’implication des enseignants et des directeurs ». Cosecrétaire
départementale du Snuipp-FSU (premier syndicat du primaire), elle-même
directrice, elle reconnaît qu’après le suicide de Christine Renon, « il
y a eu une période où le ministère a dû faire plus attention. Mais, en mars,
tout a volé en éclats. Et la fameuse “rentrée normale” a d’abord signifié que
les directeurs ont eu les mêmes sollicitations qu’avant, mais avec la gestion
du Covid en plus ». La syndicaliste estime que, chez les
directeurs, « l’épuisement est total, il y a même de l’écœurement
maintenant. Nous sommes tellement submergés par le travail administratif que
nous n’avons plus le temps de nous poser pour réfléchir à l’accueil des enfants
qui ont dû traverser le confinement. La profession est fatiguée et en colère.
Plus personne ne veut être directeur. À la veille de la rentrée, il y avait
encore des directions non pourvues, ce qui n’arrive jamais ».
Sandrine, elle, était à son poste à la
rentrée. Mais, après dix-huit ans de direction à Pantin, bientôt elle n’y sera
plus. « Je vais partir à la Toussaint pour un poste de “faisant
fonction” de principale adjointe dans un collège proche, en attendant de passer
le concours au printemps », explique-t-elle avant d’ajouter : « C’est
l’institution qui fait que j’ai envie de changer. Rien n’a bougé depuis l’an
dernier. C’est la solitude de la direction qui me pèse. Dans le secondaire, on
travaille en équipe, les missions sont réparties… » Puis, comme une
ombre : « Peut-être que je me berce d’illusions. Je ne sais pas… »
Lorsque le cortège arrive dans la cour de l’école
Méhul, il compte plusieurs centaines de personnes. Sur le perron de l’école,
Pénélope, du collectif, conclut : « Les écoles, les collèges, les lycées sont
les maillons d’une chaîne de services publics qu’il faut restaurer. Nous
exigeons un égal accès à une éducation de qualité. Nous exigeons des actes, pas
de la compassion ! »
Les risques psychosociaux dans l’angle mort
Secrétaire
général du Syndicat national des personnels d’inspection (SNPI-FSU) chargés
d’encadrer et d’aider les enseignants, Paul Devin dénonce l’absence de prise en
compte des risques psychosociaux dans l’éducation nationale : « On dit qu’il
faut les prendre en compte, mais c’est de l’incantation, du marketing. Le
changement culturel de l’encadrement n’a pas commencé. On considère toujours
que quelqu’un qui a des difficultés dans son travail n’est pas à la hauteur. Or
ces risques sont une dimension essentielle du travail. Dans le travail, il y a
ce qui motive, mais aussi ce qui épuise. »
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