Comme toutes les communes, la ville du Cher va devoir assumer la suppression des principaux impôts économiques locaux. Le dernier chapitre d’une longue histoire.
« Cela fait vingt ans que la suppression
de tout impôt économique territorial est le cheval de bataille du CNPF, puis du
Medef. On arrive à la fin de l’histoire… » La sentence est de Nicolas Sansu,
qui, comme maire (PCF) de Vierzon, dans le Cher, en a vécu les péripéties en
première ligne. La dernière goutte d’eau, qui s’apparente à un torrent de
3,3 milliards d’euros, pourrait bien faire déborder le vase. La somme
correspond à une mesure intégrée dans le bien mal nommé « plan de relance »
gouvernemental : la suppression de la majeure partie des « impôts de
production », un terme technique qui désigne en réalité la fiscalité économique
territoriale. Sous couvert de relance, c’est donc encore une fois dans les
poches des collectivités que le gouvernement puise. L’Association des maires de
France, « en désaccord total », n’a pas manqué de réagir. Elle dénonce « une
nouvelle coupe » budgétaire et « demande à l’État de mettre fin à sa stratégie
d’affaiblissement financier et fiscal du bloc communal » (communes et intercommunalités).
Stratégie d’étranglement
Mais, en réalité, cette politique a débuté
il y a près de dix ans. Maire depuis 2008, Nicolas Sansu connaît bien les
différentes étapes de cette véritable stratégie d’étranglement : « La taxe
professionnelle avait été supprimée en 2010, sous Sarkozy – après avoir été
déjà un peu rabotée sous Jospin. Puis, il y a eu la baisse des dotations sous
Hollande, la suppression de la taxe d’habitation par Macron, et maintenant la
fiscalité économique locale. Et là, il n’y a rien qui la remplace ! » La
réponse de l’État, en l’occurrence du ministre des Comptes publics, Olivier
Dussopt, est toujours la même : la baisse « sera compensée pour les
collectivités à l’euro près et de façon dynamique dans le temps ». Un mensonge
éhonté, puisque déjà sous François Hollande, dont Olivier Dussopt fut membre du
gouvernement, les dotations de l’État avaient été drastiquement baissées. Et,
depuis 2017, Emmanuel Macron les a gelées : elles ne tiennent donc pas compte
de l’inflation, et, au final, les collectivités perdent de leur capacité
budgétaire. « C’est simple, entre 2013 et aujourd’hui, mes dotations pour
Vierzon sont passées de 7,5 millions d’euros à 5,9. Si j’avais voulu
garder le même niveau de budget, il aurait fallu augmenter les impôts de
12 % ! »
Au manque de moyens, aggravé d’année en
année, s’ajoute un vice caché : la « perte d’autonomie fiscale ». Car les
dotations sont décidées par le gouvernement et les élus locaux se retrouvent
pieds et poings liés. « En 2010, pour Vierzon et la comcom (communauté de
communes, l’intercommunalité – NDLR), on avait environ 40 % d’autonomie
fiscale sur notre budget. Aujourd’hui, c’est moins de 20 % », détaille
Nicolas Sansu. Conséquence : « Si on veut augmenter notre budget de 1 %,
on doit augmenter les impôts de 5 %. C’est bien sûr inenvisageable. »
L’objectif, pas clairement assumé : forcer les collectivités à l’austérité et à
la réduction de la dépense publique locale. « C’est un moyen de la diminuer,
c’est sûr, poursuit Nicolas Sansu. Surtout les dépenses de fonctionnement, et
donc de personnels : c’est en réalité le seul levier que nous pouvons avoir. »
Et de citer un exemple : « Aujourd’hui, raconte l’édile, si on veut faire un
établissement scolaire dont on a besoin, on est obligé de réduire les dépenses
de personnels. » Et donc les services rendus aux citoyens. « Bien sûr, il faut
être rigoureux, mais là, ils ont réussi à nous mettre le garrot », déplore le
maire de Vierzon. Selon André Laignel, vice-président de l’AMF, maire PS
d’Issoudun (Indre) et président du comité des finances locales, cette politique
a entraîné pour les communes « une perte de plus de 30 milliards d’euros »
depuis 2010. L’AMF rappelle d’ailleurs que la dernière décision de l’exécutif
relève du « même mécanisme que celui de la suppression de la taxe
d’habitation », qui représentait une des principales sources de revenus fiscaux
pour les communes, avec près de 23 milliards d’euros.
Une dépendance à l’état
À Vierzon, Nicolas Sansu se démène donc pour mener à
bien des projets. D’autant que, partout en France, « le patrimoine collectif
est en mauvais état : on le voit, les ponts, les routes se dégradent. Il
faudrait donc pouvoir investir », ajoute l’édile, regrettant que les
collectivités, et notamment les communes, deviennent de simples machines à
répondre aux appels à projets. « On a créé une cellule rien que pour ça,
précise Nicolas Sansu. C’est l’État qui décide aujourd’hui des fonds et des
projets. Mais, souvent, ce n’est pas aberrant. Un exemple : à Vierzon, j’ai eu deux
PRU (plan de renouvellement urbain – NDLR), un premier de 37 millions
d’euros, puis un second, en 2017, qui nous a permis de refaire la médiathèque.
Il faut se battre et essayer de rentrer le pied dans la chaussure… » Et, en
2018, il a été un des premiers à obtenir des crédits dans le cadre du plan
Action cœur de ville, là encore pour revitaliser les commerces des villes
moyennes. Ce qui lui avait valu une visite d’Édouard Philippe à l’époque. Et si
les collectivités sont devenues dépendantes de l’État, le principal problème
réside dans l’acceptation de l’impôt : « Cette base du contrat social est
ébranlée : des entreprises me disent qu’elles n’ont pas besoin des
collectivités locales. » Pour lui, la gauche progressiste a un combat à mener
en la matière : « Réfléchir à un impôt économique territorial qui soit juste,
avec une vraie péréquation. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier. » Un
travail crucial pour les collectivités.
Benjamin
König
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