Avec la destruction d’Hiroshima et de
Nagasaki les 6 et 9 août 1945, l’humanité fait son entrée dans l’ère
atomique.
Quelques arbres à la ramure tombante ponctuant le parcours sinueux d’une
rivière qui se perd au loin conduisent l’œil vers les brumes de l’horizon. Au
sommet de l’oban tate-e, vertical, le mont Fuji en flottaison se perd dans les
nuages tandis que conversent au premier plan, une pipe à la bouche, deux
voyageurs rejoints par un troisième. À gauche du paysage représenté sur
l’estampe d’Utagawa Hiroshige, deux petits personnages pêchent sur la rive. Sur
la route du Tokaido, deux enfants.
Quelques secondes après qu’a explosé Little Boy, le 6 août 1945 à
8 h 15, au-dessus de l’hôpital Shima d’Hiroshima, c’est l’équivalent de la
superficie des sept premiers arrondissements de Paris qui est volatilisé ; la
bombe de 15 000 tonnes équivalent TNT larguée sur Notre-Dame, le reste de
la ville, du parc Montsouris à la butte Montmartre, de la tour Eiffel à la
porte de Bagnolet, eût été atteint par son souffle mortel. À Hiroshima, ce sont
plus de 75 000 personnes qui sont tuées instantanément. Dans les heures,
les jours et les semaines qui suivent, avant la fin de l’année 1945, plus de
50 000 personnes meurent. Le dénombrement total des victimes, la plupart
civiles, atteindra les 250 000, personnes mortes des suites de leurs blessures
ou des effets des radiations (1). Trois jours plus tard, le lendemain de
l’entrée en guerre de l’Union soviétique contre le Japon, c’est la ville de Nagasaki
qui est soufflée par l’explosion d’une bombe au plutonium d’une puissance de
22 kilotonnes, avec 70 000 victimes dans l’immédiat et près de
200 000 morts jusqu’en octobre 1950.
Le projet Manhattan (Manhattan Project) qui aboutira à la destruction
d’Hiroshima et de Nagasaki par l’armée des États-Unis fut initié sur la base
d’avertissements adressés par les plus éminents physiciens de l’époque. Albert
Einstein signe, le 2 août 1939, la lettre dite Einstein-Szilard alertant
le président Franklin Roosevelt sur la possibilité pour l’Allemagne nazie de se
doter, à moyen terme, de bombes thermonucléaires. De fait, le programme des
recherches nucléaires et militaires allemand (Uranprojekt) est engagé depuis le
mois d’avril 1939. Une course à l’arme atomique démarre, qui s’accélérera avec
l’entrée en guerre des États-Unis en 1941. En février 1943, Robert Oppenheimer
est nommé directeur scientifique du projet Manhattan, qui se dote d’un
laboratoire secret à Los Alamos, au Nouveau-Mexique.
Le Japon exangue, la capitulation du Reich le 8 mai 1945 aurait pu
emporter avec elle la finalisation du projet Manhattan. Il n’en sera rien.
Nommé président des États-Unis après la mort de Roosevelt, en avril 1945, Harry
Truman le poussera jusqu’au bout. Le 16 juillet 1945, la veille de
l’ouverture de la conférence de Postdam, la première bombe nucléaire de
l’histoire explose dans le désert du Nouveau-Mexique. Le télégramme qui
prévient Truman du succès de ce test grandeur nature transmet un message codé.
Un message codé ouvrant une ère inédite dans l’histoire d’une humanité devenue
capable, dans l’ivresse d’un Œdipe, d’un Icare et d’un Narcisse fascinés par
l’image d’un monde devenu flottant, de s’annihiler tout entière au feu de son
propre Soleil. Un message codé : « Le bébé est né. (2) »
(1) D’après Howard Zinn, la bombe. De
l’inutilité des bombardements aériens. Lux, coll. « Mémoire des Amériques »,
Montréal, 2011. (2) Keiji Nakazawa, J’avais six ans à Hiroshima, le
6 août 1945, 8 h 15. Le Cherche-midi, 1995.
Jérôme Skalski
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