jeudi 2 juillet 2020

« CHANGER DE VOIE POUR L’EUROPE », L’ÉDITORIAL DE PATRICK LE HYARIC DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR



La chancelière allemande prend la présidence tournante de l’Union européenne, alors que cette dernière est confrontée à de cruciaux défis. Et non des moindres puisque les fractures internes ne cessent de s’élargir. À une sortie du Royaume-Uni dont les termes n’ont toujours pas été négociés s’ajoutent les dramatiques conséquences de la pandémie.

Déjà, l’amplification de la désindustrialisation-délocalisation jette des salariés par centaines de milliers au chômage, précarise massivement la jeunesse et aggrave la pauvreté. Alors que la pandémie aurait dû conduire à plus de solidarité et de coopération, nous avons au contraire assisté à l’étalage des égoïsmes nationaux fondés sur l’idéologie bornée de la « concurrence libre » et portés par des dirigeants européens qui, comme Ponce Pilate, se sont lavé les mains des conséquences de l’épidémie en criant sur tous les toits que la santé n’était pas une compétence communautaire. Ce sont pourtant bien les multiples recommandations austéritaires qui ont affaibli les systèmes de santé.

Pour corriger cet effet désastreux, le président français et la chancelière, sous pression des capitalistes de leur pays, veulent lancer un grand emprunt européen de 750 milliards d’euros, non pas auprès de la Banque centrale européenne, qui dispense du crédit à taux d’intérêt nul, mais sur les marchés financiers.

Il s’agit bien d’un début de mutualisation de dettes porté par le budget européen. Mais ce plan a la particularité d’augmenter le fardeau d’une dette assortie de taux d’intérêt prohibitifs. Du charbon sera ainsi remis dans des circuits financiers au bord de l’implosion sans garantie pour l’emploi et l’investissement socialement et écologiquement utile.

Les peuples seront une nouvelle fois appelés à rembourser la dette ad vitam, tout en subissant de nouveaux chantages. L’accès à cet argent ne sera en effet conditionné ni au travail ni à la formation ou au progrès écologique mais bien aux « réformes structurelles » contre les services publics, l’emploi, la Sécurité sociale et les retraites.

Tout le contraire d’un indispensable fonds pour le développement humain et l’environnement qui aurait dû être abondé d’au moins 2 000 milliards d’euros. Une telle innovation, à partir de la création monétaire de la Banque centrale, servirait à financer des projets de services publics nouveaux pour le développement humain et le climat, à lancer des productions non polluantes, sans alourdir le boulet de la dette enchaîné aux pieds des États et qui légitime l’austérité perpétuelle.

Voilà qui aurait ouvert la voie à un nouveau système de coordination européenne pour protéger la santé des Européens, incluant la préservation de la biodiversité et du climat. Cela impliquerait une autre politique agricole et alimentaire commune orientée vers une agriculture paysanne, la fin des traités de libre-échange, qui, de loin en loin, aboutissent à dessaisir les États de leurs législations sur le travail, la santé et des principes de précaution environnementaux. Ce n’est pas l’orientation du fameux couple franco-allemand, arc-bouté sur des traités européens, qu’il faut d’urgence dépasser.

Des rencontres entre associations, syndicats, travailleurs des deux côtés du Rhin seraient bien utiles pour élaborer les prémices d’un tout autre projet européen coopératif.

Par Patrick Le Hyaric


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