Pour guérir un mal, il faut d’abord bien le nommer. En persistant dans le
refus de reconnaître dans sa pleine mesure le problème des violences
policières, non seulement le gouvernement prend sa part de responsabilité dans
le phénomène, mais cela le conduit de facto à couvrir des faits et des
pratiques en totale contradiction avec les valeurs qu’il dit être celles de
l’institution policière. Et à abandonner à leur sort les agents qui se font une
autre idée de leur métier.
Des dizaines de milliers de personnes défilent en France contre les
violences policières. Entre celles qui les vivent et celles qui les constatent
sans les avoir elles-mêmes endurées, difficile de soutenir que les innombrables
témoignages d’une discrimination ciblée selon la couleur de peau relèvent de
l’hallucination collective. Quel voyageur des transports urbains ne s’est
jamais fait, en toute honnêteté, la réflexion à la vue de contrôles policiers ?
En 2017, le candidat Macron avait lui-même partiellement reconnu cette réalité
en disant vouloir lutter contre l’abus des contrôles d’identité qui crée « pour
les populations d’origine étrangère un sentiment de discrimination ».
Bien sûr, les faits dénoncés ne présentent
pas tous, heureusement, la même gravité que ceux de l’affaire Adama Traoré. La
violence de la police française est sans commune mesure avec celle des
États-Unis – on parle de treize fois moins de morts par an et par
habitant –, mais là n’est pas le sujet. Le sujet, c’est ce lien entre
violence et racisme qui prend le plus souvent la forme d’humiliations, de
maltraitances et de propos sans équivoque – comme en témoignent encore les
intolérables affaires du groupe de parole raciste des policiers de Rouen, et
d’un autre, sexiste et xénophobe, sur Facebook.
Ces actes sont irréductibles à des dérives
individuelles, comme les qualifient les autorités. Ils sont peut-être le fait
d’une minorité d’agents : il n’empêche qu’ils présentent de par leur fréquence
un caractère « systémique » – une notion employée en mai dans une affaire
par le Défenseur des droits. La négation même de ce phénomène participe de ce
système, en ce sens qu’elle en protège le fonctionnement et le normalise en le
niant : c’est « circulez, il n’y a rien à voir ». Seule la parole qui se libère
peut briser ce déni.
Par Sébastien Crépel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire