lundi 8 juin 2020

« NÉGATION », L’ÉDITORIAL DE SÉBASTIEN CRÉPEL DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR !



Pour guérir un mal, il faut d’abord bien le nommer. En persistant dans le refus de reconnaître dans sa pleine mesure le problème des violences policières, non seulement le gouvernement prend sa part de responsabilité dans le phénomène, mais cela le conduit de facto à couvrir des faits et des pratiques en totale contradiction avec les valeurs qu’il dit être celles de l’institution policière. Et à abandonner à leur sort les agents qui se font une autre idée de leur métier.

Des dizaines de milliers de personnes défilent en France contre les violences policières. Entre celles qui les vivent et celles qui les constatent sans les avoir elles-mêmes endurées, difficile de soutenir que les innombrables témoignages d’une discrimination ciblée selon la couleur de peau relèvent de l’hallucination collective. Quel voyageur des transports urbains ne s’est jamais fait, en toute honnêteté, la réflexion à la vue de contrôles policiers ? En 2017, le candidat Macron avait lui-même partiellement reconnu cette réalité en disant vouloir lutter contre l’abus des contrôles d’identité qui crée « pour les populations d’origine étrangère un sentiment de discrimination ».

Bien sûr, les faits dénoncés ne présentent pas tous, heureusement, la même gravité que ceux de l’affaire Adama Traoré. La violence de la police française est sans commune mesure avec celle des États-Unis – on parle de treize fois moins de morts par an et par habitant –, mais là n’est pas le sujet. Le sujet, c’est ce lien entre violence et racisme qui prend le plus souvent la forme d’humiliations, de maltraitances et de propos sans équivoque – comme en témoignent encore les intolérables affaires du groupe de parole raciste des policiers de Rouen, et d’un autre, sexiste et xénophobe, sur Facebook.

Ces actes sont irréductibles à des dérives individuelles, comme les qualifient les autorités. Ils sont peut-être le fait d’une minorité d’agents : il n’empêche qu’ils présentent de par leur fréquence un caractère « systémique » – une notion employée en mai dans une affaire par le Défenseur des droits. La négation même de ce phénomène participe de ce système, en ce sens qu’elle en protège le fonctionnement et le normalise en le niant : c’est « circulez, il n’y a rien à voir ». Seule la parole qui se libère peut briser ce déni.  
Par Sébastien Crépel


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