Accaparement des richesses,
marchandisation des services publics, perte de souveraineté industrielle… Les
boussoles du président ont affaibli le pays face au coronavirus.
La crise du coronavirus aurait pu être moindre en France. Plusieurs choix
politiques ont rendu le pays plus fragile face à ce défi, aggravant les dégâts
et conséquences. Il y a bien sûr les coups portés à l’hôpital et à la recherche
publics, en état de crise avant l’arrivée du virus, sans oublier le refus
d’améliorer la situation dans les Ehpad. Le tout au nom d’une recherche de
rentabilité déshumanisée. Il y a la détérioration de notre souveraineté
industrielle, douloureusement mis en lumière avec la gestion erratique de
stocks de masques. L’austérité budgétaire, couplée à une volonté de jouer
toujours plus selon les règles de la compétition internationale, a amené le
pays à délocaliser et à s’affaiblir. Il y a enfin l’objectif de détruire
toujours plus l’État providence et les solidarités, en baissant les aides
sociales et la fiscalité sur les plus fortunés. Autant de choix, déjà dénoncés
à l’époque, dont la dangerosité est décuplée en tant de crise.
1 Masques : la pénurie qu’on a laissée
venir
La pénurie de masques que vit l’Hexagone n’était pas une fatalité. En 2009,
pour prévenir l’épidémie de grippe H1N1, la ministre de la Santé Roselyne
Bachelot commande 1 milliard de masques chirurgicaux et un peu plus de
700 millions de masques FFP2. Mais, en 2011 et 2013, la Direction générale
de la santé décide de ne pas reconstituer les réserves de masques, notamment
les FFP2, jugés trop coûteux. Malgré un rapport sénatorial de 2015 pointant les
risques sanitaires, la politique de gestion restera inchangée. « À
partir de 2011, après la grippe H1N1, il a été décidé que nous n’avions plus de
besoin de stock de cette nature, car les productions mondiales étaient
suffisantes pour assurer le coup en quelque sorte, en cas de pandémie », explique
la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. La Chine, notamment, devait
assurer l’essentiel de la demande française en cas d’épidémie. Résultat, en
décembre 2019, la France ne disposait que de 140 millions de masques face
au coronavirus.
2 Des secteurs stratégiques délocalisés
Le cas des masques témoigne de la dépendance de l’économie française aux
productions de pays où la main-d’œuvre est moins chère. Emmanuel Macron a
lui-même admis devoir relocaliser des emplois pour regagner en souveraineté
économique et sanitaire. Sacré retournement de veste de la part de celui qui,
ministre, a autorisé nombre cessions d’actifs d’entreprises stratégiques
françaises, à commencer par la branche énergie d’Alstom à General Electrics, ou
d’Alcatel-Lucent à Nokia. Dans le secteur médical, on attend une décision quant
à la liquidation prochaine de l’entreprise Peters Surgical, à Bobigny.
L’activité du site, qui produit des sondes pour les services de réanimation,
doit être délocalisée en Inde cet été.
3 Saignées pour l’hôpital public
Ceux qui portent au rang de « héros » le personnel hospitalier sont les
mêmes qui votent les budgets austéritaires qui sapent leurs ressources et ont
ignoré leur mobilisation tout au long de l’année écoulée. La loi de financement
de la Sécurité sociale votée en 2019 a supprimé la compensation par l’État des
pertes de financement de l’assurance-maladie dues aux baisses de cotisations.
Cette perte de financement a eu des traductions matérielles immédiates. En
2018, 4 172 lits d’hospitalisation complète avaient déjà été supprimés en
France. Le pays fait figure de mauvais élève face à un voisin comme
l’Allemagne, qui dispose de 6 lits de soins aigus pour
1 000 habitants, contre pour l’Hexagone. La cure frappe aussi le
personnel :
400 postes d’infirmiers restaient vacants en 2018, uniquement sur les
Hôpitaux de Paris. Avec des bas salaires peu valorisés, l’hôpital public peine
aussi à être attractif face aux cliniques privées et professions libérales.
4 Une rétention administrative indigne
Promulguée en 2018, la loi asile et immigration durcit la politique
migratoire française et augmente la durée légale pendant laquelle un étranger
peut être écroué dans un centre de rétention administrative (CRA) de 45 à
90 jours. Elle maintient aussi la possibilité d’y enfermer des mineurs.
Mais elle ne prévoit pas d’améliorer les conditions de rétention, régulièrement
critiquées pour cause de promiscuité et d’absence d’intimité. En pleine
pandémie, difficile de respecter la « distanciation sociale » quand on dort à
deux dans 9 mètres carrés. Il n’y a « pas de masque, pas de savon
pour se laver régulièrement les mains » et on
déplore « une absence totale de gel hydroalcoolique », pointe
Cyrille de Billy, secrétaire général de la Cimade. En résulte un désastre
sanitaire. La demande des associations de fermer tous les CRA, appuyée par le
Défenseur des droits, Jacques Toubon, a été rejetée.
5 Les ressources fiscales asséchées
Attractivité. C’est le maître mot de la politique fiscale de la Macronie,
qui se vante d’attirer à nouveau les investisseurs sur le sol français. Au prix
de cadeaux fiscaux qui manquent cruellement aux recettes de l’État
– particulièrement lorsqu’il doit débourser un plan d’urgence à
110 milliards d’euros. Le crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), créé
sous François Hollande puis pérennisé sous forme d’allègements de cotisations
par Macron, a coûté 100 milliards d’euros à l’État entre 2012 et 2019,
pour une très faible création d’emplois. La suppression de l’ISF et la flat tax
sur les produits financiers représentent un manque à gagner annuel de
4,5 milliards pour les finances publiques. Contre-productif, à l’heure des
plans de sauvetage et de relance.
6 Les aides sociales dans le viseur
Un « pognon de dingue ». Voilà comment Macron résume les aides
sociales, qu’il malmène depuis 2017. Pourtant, plus d’un Français sur cinq
basculerait dans la pauvreté s’il n’y avait pas le RSA, les minima sociaux, les
prestations familiales, les allocations logement. Pas de quoi émouvoir le
président, qui veut fusionner ces aides pour les réduire. Et faire plus de
pauvres, particulièrement démunis face au coronavirus, sur le plan sanitaire et
financier. La Macronie, qui a déjà baissé les aides personnalisées au logement
(APL) sitôt élu et gravement affaibli le logement social, voulait aussi réduire
les droits des chercheurs d’emploi en sabrant l’assurance-chômage. Le
coronavirus lui a fait faire machine arrière. Tout comme pour la suppression de
1 000 euros d’APL pour 1,2 million de ménages. Reste que, depuis 2017,
nombre d’aides et de pensions n’ont pas été indexées sur l’inflation, à tel
point que, pour l’année 2020, le gouvernement s’est fait retoquer sa copie par
le Conseil constitutionnel.
7 Manque de crédits pour la recherche
publique
Si tous les grands laboratoires
pharmaceutiques se sont lancés dans une course effrénée pour trouver un vaccin
contre le coronavirus, potentielle poule aux œufs d’or, les « Big Pharma »
s’étaient jusqu’ici désintéressés de la recherche contre les maladies infectieuses,
jugée peu rentable. D’où l’importance de la recherche publique, capable de
mener des investissements de long terme. Or, en France, les politiques pour
favoriser ce secteur, comme le crédit d’impôt recherche, sont tournées vers le
privé. Quant aux efforts de recherche publique sur les coronavirus, ils ont été
minés par la fonte des crédits. Les chercheurs du public sont de plus en plus
soumis à la logique des appels à projets pour obtenir des financements au coup
par coup, plutôt que réguliers. Or, ceux-ci sont chronophages et rognent sur
les études de long terme. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche
devait renforcer cette tendance. Pour le moment en suspens, elle a provoqué un
mouvement de grève des chercheurs et universitaires début mars.
Cyprien Caddeo et Aurélien Soucheyre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire