Ne nous leurrons pas : la crise que nous traversons laissera derrière elle
un coût social énorme, que ne suffiront pas à éponger les 24 milliards
d’euros lâchés en indemnisation du chômage partiel et les quelques mesures de
soutien aux familles les plus modestes, lesquelles devront encore attendre
jusqu’à la mi-mai – 22 jours à tenir, 66 repas. Dans les quartiers
populaires, où le travail précaire ou au noir était jusqu’à la pandémie le
moyen de subsistance principal de nombreux foyers, beaucoup se sont retrouvés
du jour au lendemain sans ressource aucune, hors du champ des aides d’État. La
prolongation du confinement jusqu’au 11 mai s’est muée en une longue
plainte de douleur étouffée face à l’impossibilité de payer les factures, et
même de se nourrir.
Qui aurait cru la chose pensable, en 2020 ? Le spectre de la faim rôde à
nouveau dans les grandes cités ouvrières de France, s’il n’y avait la
solidarité des habitants et de municipalités qui se démènent pour accéder à
chaque foyer en dépit de la fermeture des centres sociaux, et l’énergie des
associations sur le terrain. Les queues pour la distribution de produits de
base – dont certains prix flambent – atteignent des proportions affolantes.
Ce qui n’était encore
qu’un risque se mue ainsi peu à peu en certitude : la crise sanitaire pourrait
faire, sur le long terme, plus de victimes des restrictions imposées que du
virus lui-même, à moins que les solutions neuves qu’on imagine pour le « monde
d’après » mûrissent assez vite pour s’imposer dans le « monde
d’aujourd’hui » encore confiné. Il y a urgence. Les enjeux pour le
présent comme pour le futur sont énormes. Une note confidentielle du président
du Conseil scientifique nommé par le gouvernement appelle le chef de l’État
à « impliquer la société » dans la gestion de la crise.
Jusqu’alors, chacun a dû se résoudre à une gestion pilotée – confisquée,
devrait-on dire – par un exécutif pour lequel la science sert à transformer la
décision politique en vérité indiscutable, plutôt qu’à éclairer une
délibération démocratique dont l’éviction se paie tous les jours chèrement par
le retard pris à procéder aux réorientations que le pays appelle.
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