Puériculture : « Les professionnels
des crèches organisent une journée de grève ce jeudi à l’appel d’une
intersyndicale. Ils dénoncent des mesures gouvernementales qui détériorent les
conditions de travail et la qualité d’accueil des enfants ».
Il n’y a pas qu’à l’école que la rentrée a causé des remous. Dans les crèches aussi, les pénuries de personnel ont accompagné le retour des petits après les vacances. À Paris, la municipalité a décidé de geler 15 % de ses capacités d’accueil, soit plus de 6 000 places en crèche, dans l’attente de recruter des professionnels qualifiés. « La situation est très tendue, certains territoires ont effectivement fait le choix de geler des berceaux », confirme Clotilde Robin, première adjointe à Roanne et coprésidente du groupe de travail petite enfance à l’Association des maires de France (AMF). Le manque de solutions de garde pour les tout-petits n’est certes pas nouveau – la Fédération française des entreprises de crèche (Ffec) rappelait récemment que 22 600 places ont disparu entre 2016 et 2019, tous modes d’accueil confondus – mais la tendance semble s’aggraver. « Depuis 2016, les créations de places de crèche (+ 33 800) ne suffisent plus à compenser la réduction continue d’assistantes maternelles (787 800 en 2016 contre 744 300 en 2019, soit 43 500 places en moins). Avec le départ à la retraite de 160 000 assistantes maternelles d’ici à 2030 et le temps nécessaire pour bien former les futures professionnelles, ce phénomène va s’accélérer », alerte le syndicat patronal.
Mais plutôt que de réfléchir en profondeur à renforcer
l’attractivité, notamment salariale, des métiers de la petite enfance, le
gouvernement a fait le choix, début août, de publier un arrêté permettant des
dérogations pour embaucher en crèche des personnes dépourvues de qualifications
en structure d’accueil. Une décision aux antipodes des revendications des
syndicats de salariés, et même de certains employeurs. « Ce n’était pas une demande de notre part », affirme Clotilde Robin, en ce qui concerne les
crèches municipales. Côté privé, la Ffec dit ne pas avoir été à l’origine de
cette demande non plus mais accueille positivement cet arrêté élargissant les
profils potentiellement recrutables en crèche.
Un taux d’encadrement d’un adulte pour
six enfants, quel que soit leur âge
« Les gestionnaires sont ravis de cette possibilité », estime Julie
Marty-Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes
enfants (Fneje), qui rappelle qu’il manque « 10 000 professionnels de la petite enfance au niveau
national. Pour nous, c’est un coup de massue. Non seulement on ne nous écoute
pas quand on parle de la détérioration de nos conditions de travail depuis le
décret Morano (passé
en 2010, ce texte augmente le nombre d’enfants par employé de crèche – NDLR), mais
en plus on vient nous expliquer que nos métiers ne valent rien ! » Enrage la représentante de la Fneje. Si le texte
gouvernemental vient enfoncer le clou, le problème de la pénurie de personnel
qualifié est bien plus structurel. Un problème dont sont conscients employeurs
publics et privés : l’AMF comme la
Ffec reconnaissent que la formation et la question salariale restent centrales
pour la question de pénurie de
main-d’œuvre. « Il y a eu le Covid, bien sûr, mais même avant cela, les professionnels qualifiés qui arrivaient se rendaient
bien compte qu’ils ne pouvaient pas mettre en place sur le terrain ce qu’on
leur avait enseigné », rappelle
Julie Marty-Pichon.
Depuis l’empoisonnement d’une fillette de 11 mois
par une employée d’une crèche People & Baby à Lyon, parents et
professionnels de la petite enfance profitent de l’attention médiatique pour
alerter sur les conditions d’accueil des jeunes enfants et les conditions de
travail des salariés dans ces structures. Si l’enquête de police va devoir faire
toute la lumière sur les circonstances de ce drame, les syndicats pointent
néanmoins le facteur aggravant de la déréglementation en matière de taux
d’encadrement. Par dérogation, les microcrèches – comme l’établissement
People & Baby dont il est question – ont la possibilité de
laisser la responsabilité à un seul professionnel de faire l’ouverture ou la
fermeture de la structure, s’il y a moins de trois enfants. Une disposition qui
avait d’ailleurs été étendue à tous les types de crèche en juin 2021, en pleine
période de crise du Covid. Hasard ou conséquence du décès de la fillette, cette
possibilité a été abrogée fin juillet dernier pour les établissements hors
microcrèches. « On avait toujours alerté sur le danger que représentait cette possibilité d’ouvrir à une seule personne : que ce soit quelqu’un qui pète un plomb ou qui fait un malaise », souligne Cyrille Godfroy, cosecrétaire général
du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE).
Outre cette dérogation, la loi Asap (d’accélération et
de simplification de l’action publique) promulguée fin 2020 a généralisé
l’augmentation du nombre d’enfants par professionnel, les microcrèches pouvant
désormais accueillir jusqu’à douze enfants contre dix auparavant. Pour
l’ensemble des structures, les gestionnaires peuvent, depuis ce texte,
appliquer un taux d’encadrement d’un adulte pour six enfants, quel que soit
leur âge. Avant cette réforme, les structures avaient l’obligation de respecter
un taux minimal d’un adulte pour cinq bébés qui ne marchent pas, et d’un pour
huit enfants qui marchent. Pour remplir toujours plus avec toujours moins de
professionnels, le gouvernement a également décidé d’autoriser les crèches à
fonctionner à 115 % de leurs capacités d’accueil depuis un décret paru en
août 2021. « Moins vous êtes d’humains, plus vous êtes amenés à maltraiter », déplore Julie
Marty-Pichon.
Maltraitance professionnelle et
insécurité infantile
Sans même avoir besoin d’exemples d’actes de violence
extrême, la professionnelle explique comment le sous-effectif peut générer une
insécurité chez les enfants : « Si, entre 11 heures et 13 heures, vous devez faire manger douze bébés – certains au
biberon, d’autres qui sont en pleine diversification – et que vous n’êtes
pas assez nombreux, vous vous retrouvez à devoir dire à des enfants de 5-6 mois
d’attendre, alors qu’à cet âge-là ils ne sont pas en capacité d’attendre. Ça
crée un stress chez les enfants », précise-t-elle. « Face à tous ces enfants qui pleurent, certains collègues finissent par leur mettre la main sur la bouche
pour qu’ils arrêtent de crier », regrette la représentante de la Fneje. « À cause du surbooking, on peut se retrouver à devoir réveiller un enfant en pleine sieste pour en coucher un autre parce qu’il n’y
a pas assez de couchettes », dénonce-t-elle
en outre.
« Ces taux d’encadrement ne sont pas tenables. On ne peut pas bien traiter les enfants
quand on maltraite les professionnels », confirme Émilie, éducatrice de jeunes enfants depuis
vingt ans en structure municipale. Face à la difficulté de ses conditions de
travail, amplifiées par le non-remplacement de ses collègues en arrêt, celle-ci
a fait un burn-out. « On me demandait de maintenir la crèche ouverte coûte
que coûte, alors que je me retrouvais avec trois collègues en arrêt le même
jour et 29 enfants à garder », se
souvient-elle. Lorsqu’elle a été elle-même mise en arrêt, la municipalité a
préféré faire appel à des seniors bénévoles plutôt que de fermer. « Cela montre le peu de considération qu’on a pour nos métiers. Quand on connaît la pénibilité et la complexité de ce qu’on fait, les études qu’on a faites… tout ça pour être aussi mal
payées. J’ai une collègue titulaire d’un CAP petite enfance qui touche 1 330 euros net au bout
de vingt années d’ancienneté ! » s’insurge-t-elle. Les employés de crèche font
d’ailleurs partie des oubliés du Ségur, qui avait accordé à certaines
catégories de professionnels du secteur médico-social une augmentation de
183 euros, mais pas à d’autres.
« Tant qu’on restera sur cette idée ancrée dans l’inconscient collectif que s’occuper des enfants, c’est une compétence innée pour les femmes, et qu’à la
rigueur elles devraient être reconnaissantes d’être payées pour cela, on ne
fera pas évoluer les choses », considère
Cyrille Godfroy. Des reliquats d’une « société patriarcale » que dénonce également Julie Marty-Pichon. Pour faire entendre leurs
voix, le collectif Pas de bébés à la consigne et une intersyndicale
CFDT-CGT-FO-FSU-SUD appellent les salariés des crèches à la grève et à la
manifestation un peu partout en France aujourd’hui.
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