vendredi 11 mars 2022

« La culture, le nerf de la paix », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.

 


L’autocrate sanguinaire du Kremlin doit s’en frotter les mains. Les va-t-en-guerre du café de Flore, aveuglés par leur manichéisme bêta, appellent au boycott des artistes et de la culture russes. Ou comment tomber dans tous les pièges. Bannissement des œuvres de compositeurs russes, interdiction d’un cours sur Dostoïevski, annulation de spectacles, exclusion de cinéastes et donc assignation des artistes russes à résidence… Quelle bêtise! Et quelle honte quand on sait combien nombre dentre eux prennent des risques pour sopposer à Vladimir Poutine. Malgré les menaces demprisonnement, des cinéastes ont créé un collectif et réalisent des courts métrages pour dénoncer l’invasion russe. Face à une guerre qu’ils qualifient de «désastre», de «honte» ou encore de «plus grand échec moral de notre siècle», des dizaines de milliers d’artistes et d’acteurs culturels ont signé une lettre ouverte intitulée «Non à la guerre». Certains ont démissionné de leurs fonctions. Et il faudrait les sanctionner, donc?

Quand les armes parlent, les lois se taisent. Pas la culture. Boris Godounov n’a-t-il rien à nous dire sur la guerre actuelle? Et l’œuvre de Dostoïevski? Les mêmes qui dénoncent la «cancel culture» se lancent aujourdhui dans une chasse aux sorcières ridicule. Aux pires moments de tension avec lIran, nous n’aurions pas interdit à ses cinéastes de présenter leur film à Cannes. Aussi saluons ici la position prise mercredi par la ministre de la Culture d’accueillir les artistes russes «obligés de sexiler»«On ne va pas arrêter Moussorgski, on ne va pas arrêter Tchaïkovski, on ne va pas arrêter de jouer Tchekhov. Il y a des demandes de boycott qui ne correspondent pas à ce qu’est pour nous la culture», a-t-elle estimé.

D’autant que ce boycott culturel est un cadeau fait à Poutine, qui ne manquera pas de l’instrumentaliser pour exacerber ses délires nationalistes et sa paranoïa belliqueuse. Le 27 février, à l’opéra de Naples, à la fin d’une représentation d’Aïda, deux artistes lyriques russe et ukrainienne se sont avancées sur la scène avant de s’enlacer, sans un mot. Le public les a ovationnées au cri de «pace»«La guerre: cest lhumanité contre lhumanité, malgré lhumanité.»

 

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