mercredi 22 septembre 2021

Territoire. « En Seine-Saint-Denis, l’égalité républicaine est encore loin »



Julia Hamlaoui

Le premier ministre s’est rendu à Bobigny pour annoncer une renationalisation du RSA dans le département. Après le rapport parlementaire alertant sur les carences de l’État, la mesure est saluée par le député communiste Stéphane Peu, qui la juge toutefois insuffisante. Entretien.

STÉPHANE PEU, Député de Seine-Saint-Denis

Deux ans après l’annonce du plan « L’État fort en Seine-Saint-Denis » par son prédécesseur, Édouard Philippe, le premier ministre, Jean Castex, s’est rendu mardi à Bobigny pour en dresser un bilan flatteur et annoncer une « nouvelle étape ». Dans ce département où le taux de pauvreté est de 28,6 %, le double de la moyenne nationale, la renationalisation du RSA va être expérimentée. Mais ce retour de l’État n’est que partiel, comme les mesures de rattrapage précédentes, selon le député PCF Stéphane Peu.

Le premier ministre vante les résultats du plan « L’État fort en Seine-Saint-Denis », lancé en 2019, après le rapport parlementaire Cornut-Gentille pointant les très fortes inégalités dont souffre le territoire. Quel est votre bilan ?

Stéphane Peu : Indéniablement, ce rapport auquel j’ai contribué a eu des effets. Il a permis d’objectiver une situation et de confirmer à quel point, sur les trois principales politiques régaliennes – la police, la justice et l’éducation –, ce territoire est traité en parent pauvre. À partir de ce consensus sur le constat, loin d’une position victimaire, nous avons simplement exigé un traitement à égalité. Le plan annoncé en 2019 compte des mesures partielles mais, néanmoins, de rattrapage. Reste qu’un chiffre montre que l’égalité républicaine est encore loin d’être acquise : 63 % de la population vit ici en quartier prioritaire de la politique de la ville. C’est 15 % dans les Bouches-du-Rhône et dans le Nord, avec lesquels le département est parfois comparé. Avant la fin de la session parlementaire, fin février, avec mon collègue François Cornut-Gentille, nous publierons un rapport de suivi de ce plan.

Sur les principales carences de l’État, les actions entreprises sont-elles à la hauteur ?

Stéphane Peu : D’ores et déjà, on constate un effort sur la justice, avec notamment 35 greffiers supplémentaires, 12 magistrats et une accélération de l’extension et de la reconstruction du tribunal de Bobigny. Mais le retard était tellement immense et le différentiel de moyens affectés si important qu’on ne saurait se satisfaire d’un rattrapage qui laisse encore la Seine-Saint-Denis très loin de la moyenne nationale. Sur la police, les efforts sur les effectifs restent à vérifier, car on nous annonce, par exemple, 30 policiers supplémentaires mais, dans le même temps, 45 départs sont prévus. Par ailleurs, au-delà des problèmes d’effectifs, qui sont absolument essentiels, nous pointions aussi la nécessité d’un changement de doctrine, d’un travail sur le rapport police-population, du retour d’une police de proximité. Ce n’est toujours pas à l’ordre du jour.

En matière d’éducation, le dédoublement des classes et des moyens supplémentaires sont mis en avant…

Stéphane Peu : La réussite éducative n’est toujours pas au centre des politiques publiques. Bien sûr, le dédoublement des CP-CE1 est salué par tous. Mais cela se traduit par la disparition d’autres dispositifs efficaces, comme « plus de maîtres que de classes » ou le réseau d’aide individualisée Rased. Au lieu de marcher sur la jambe droite, on marche sur la gauche, mais on est toujours à cloche-pied. Surtout, on continue de supprimer des classes et les remplacements des profs absents sont totalement déficients. En conséquence : entre le CP et la 3e, un élève connaîtra l’équivalent d’une année scolaire sans professeur, ce qui n’existe nulle part ailleurs en France.

Jean Castex a également lancé l’expérimentation de la renationalisation du RSA. Est-ce une solution satisfaisante au regard des besoins ?

Stéphane Peu : Depuis 2004, le RSA repose principalement sur les ressources des départements. Résultat, plus votre département est fragile socialement, plus le nombre d’allocataires est important, plus les habitants sont mis à contribution. Cette expérimentation est donc positive dans le sens où elle est un pas vers un retour à une véritable solidarité nationale, mais elle est très partielle. En 2012, le RSA représentait en Seine-Saint-Denis 318 millions d’euros, en 2020, c’est 551 millions d’euros. L’expérimentation prévoit une nouvelle part prise en charge par l’État au-delà de 520 millions d’euros, soit grosso modo un retour à la situation antérieure. D’autant que l’État rogne sur d’autres dispositifs, notamment sur la dotation de fonctionnement ou les droits de mutation. Ce qui a conduit une majorité de départements initialement intéressés par l’expérimentation à y renoncer. Sans être partisans du tout ou rien, nous continuons à défendre une renationalisation totale du RSA.

 

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