Au-delà du crash
informatique du 6 avril, une réalité apparaît : depuis un an, rien ou presque
n’a été fait pour préparer l’école à ce nouveau coup d’arrêt. Une fois de plus,
seules l’expérience et la bonne volonté des personnels permettront aux élèves
de s’en sortir.
Commençons, le sujet s’y prête, par un peu de latin facile : « Errare humanum
est, perseverare diabolicum. » Jean-Michel Blanquer ferait bien de méditer le
vieux proverbe qui dit que toute erreur est humaine, mais que sa répétition
indique au mieux la négligence, au pire une intention maligne. Car ce mardi
6 avril, un peu plus d’un an après la première fermeture des
établissements scolaires, tout montre qu’en dépit des affirmations du ministre,
l’éducation nationale n’était pas prête pour une nouvelle période d’école à
distance et que le « démerdentiel » va encore rester la règle de base pour les
personnels, les élèves et leur famille.
Manque d’équipements et bugs
Pourtant, dès le lendemain des annonces d’Emmanuel Macron, les enseignants
se sont organisés : réunions pour fixer des règles communes, recensement des
équipements numériques des élèves, distribution de ressources et – déjà – de
devoirs… « Nous nous sommes basés sur notre expérience de l’an dernier,
explique Jean-Marie Évrard, professeur d’histoire-géographie au lycée Feyder, à
Épinay-Sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Nous avions réalisé une enquête
pour connaître les outils numériques dont disposaient les élèves. Nous avons
choisi de privilégier les outils en ligne existants, afin de leur faciliter les
choses. » Mêmes options pour Dominique (1), qui enseigne les mathématiques
dans un collège d’Aubervilliers : « Nous avons fixé trois règles :
passer par ProNote, que les élèves connaissent bien, ne pas mettre de notes
pendant le confinement afin de ne pas accroître les inégalités, et établir un
planning pour éviter les chevauchements horaires des classes virtuelles. »
Directeur d’une petite école (quatre classes) dans les Yvelines, Erwan (1)
raconte peu ou prou la même histoire, à cela près que « nous n’avons
pas d’ENT (espace numérique de travail). Du coup, on a distribué des
photocopies, envoyé du travail à faire sur les mails des parents… Une collègue
a remis en fonction son blog pour partager des documents. En fait, nous avons
repris les habitudes de fonctionnement de l’an dernier ». Il est
d’ailleurs resté à l’école jusqu’à 22 heures, le 1er avril, pour
faire des photocopies…
Et il a eu raison, puisque mardi matin, malgré les assurances répétées du
ministre que tout serait prêt, comme l’an dernier, le système a explosé en vol.
Dans de nombreux endroits, les ENT étaient inaccessibles – six régions étaient
concernées, selon un pointage du Snes-FSU (premier syndicat du secondaire) :
l’Île-de-France, le Centre-Val de Loire, le Grand-Est, les Hauts-de-France, la
Normandie et l’Occitanie. « Ma classe à la maison », le dispositif dédié du
Centre national d’enseignement à distance (Cned), était lui aussi planté. En
milieu d’après-midi, certains ENT étaient à nouveau disponibles.
Mais encore faut-il que les élèves soient équipés pour en profiter. Et de
ce côté-là, la situation n’est guère meilleure que l’an dernier. « On
sait qu’ils n’ont pas tous un ordinateur, reprend Jean-Marie Évrard. Des
portables ont été mis à disposition d’une partie des élèves, notamment les
secondes et quelques premières et terminales. Mais il y a des soucis : certains
ordinateurs, envoyés en maintenance en janvier ou février, ne sont toujours pas
revenus ! » Dominique, lui, avait là aussi pris les devants et recensé
les besoins de ses élèves : « Ça a permis aux CPE (conseillers
principaux d’éducation – NDLR) de distribuer des clés 4G à ceux qui en
avaient besoin. Mais dès le 1er avril, toutes les tablettes
disponibles étaient déjà réparties, et tout le monde n’a donc pas pu en avoir.
C’est du bricolage, ça repose sur la bonne volonté des profs, des CPE… »
Le problème des classes à examen
Malgré ces précautions et l’anticipation dont ils ont fait preuve, les
enseignants redoutent des conséquences identiques à celles de l’an
dernier. « On va avoir deux semaines de cours en moins, des
progressions qui vont être cassées, il va falloir revenir dessus, ça va prendre
du temps et aggraver les retards », poursuit Dominique. « Beaucoup
d’élèves nous ont dit “Au revoir, bonnes vacances” la semaine dernière »,
raconte son collègue du lycée Feyder : « On n’est pas sûr de les
revoir. Pour certains, on ne va plus en entendre parler jusqu’à la reprise.
Certains vont décrocher. » Seul motif d’espoir de ce côté-là : la
relative brièveté de la coupure, limitée à cette semaine pour le primaire et
une de plus pour le secondaire. « Pour nous ça se limite à trois jours
en réalité, juge Erwan . Je ne crois pas que cela pose
beaucoup de problèmes pour les élèves, d’autant qu’ici nous sommes dans un
milieu où les familles peuvent être attentives à la scolarité de leurs
enfants. » Ce qui n’est pas forcément le cas là où la précarité et le
mal-logement dominent.
Reste le problème des classes à examen. « C’est une de nos
angoisses, reconnaît Jean-Marie Évrard. Rien n’a été prévu. Nous
n’avons pas d’information. Ce serait pourtant simple d’alléger les programmes !
Il est inadmissible que le ministre ne réponde pas clairement non plus sur le
grand oral, ni sur la possibilité de passer en contrôle continu pour la philo
et le français. Aucune anticipation n’est possible. Mais nous, on ne travaille
pas au jour le jour, une progression ça se pense ! » Lui se dit « désabusé » et
dénonce : « Depuis l’an dernier il n’y a eu aucun investissement, mais
le ministre a reversé 600 millions au budget de l’État. Quel gâchis ! On
pouvait se préparer. »
(1) Les prénoms ont été changés.
Le ministre et les hackers
Le plantage généralisé du 6 avril ?
C’est de la faute de tout le monde, sauf du ministère. Jean-Michel Blanquer a
ainsi tour à tour accusé les collectivités locales, puis l’opérateur privé OVH,
qui héberge nombre de plateformes de l’éducation nationale sur ses serveurs. Il
s’est attiré une verte réponse du patron d’OVH sur Twitter, rappelant que
certains des ENT affectés « ne sont pas hébergés » par son entreprise. Enfin,
le ministre a accusé… « des attaques informatiques apparemment venues de
l’étranger » pour la panne de « Ma classe à la maison ». Outre que l’argument a
provoqué l’hilarité générale sur les réseaux sociaux à la pensée des « hackers
russes » avides de venir « télécharger la dictée du jour », on se souviendra
qu’il y a un an, il avait déjà utilisé le même argument… jamais confirmé.
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