mardi 2 février 2021

Solidarité. À Cuba, le vaccin échappe à la toile de Big Pharma



Rosa Moussaoui

La Grande Île a mis son expertise en matière de biotechnologies au service du développement de traitement contre le Covid-19. L’un des quatre candidats aborde l’ultime phase de tests : 100 millions de doses sont annoncées pour 2021.

Avec Soberana 2, Cuba disposera sous peu de son propre vaccin contre le coronavirus. « Si tout va bien, cette année, toute la population cubaine (11,3 millions d’habitants – NDLR) sera vaccinée », a annoncé, la semaine dernière, le docteur Vicente Vérez, directeur de l’Institut Finlay, qui pilote deux des quatre projets entrés en phase d’essais cliniques. La production a même déjà commencé et, avec l’arrivée annoncée de 100 millions de doses en 2021, ce vaccin cubain pourrait bénéficier, au-delà des frontières, à d’autres pays du Sud, à des populations vulnérables jusque-là écartées des programmes de vaccination contre le Covid-19 par la politique d’accaparement des pays les plus riches.

Jugé « sûr », avec « des effets indésirables bénins » par le Centre national de coordination des essais cliniques (Cencec), Soberana 2 est entré dans la phase II b des tests, qui implique 900 volontaires. Il devrait aborder, dès le mois de mars, l’ultime phase avant homologation, avec des essais sur 150 000 volontaires ; un accord a été conclu avec l’Institut Pasteur d’Iran, qui participera à cette évaluation. Si ces étapes sont franchies avec succès, le vaccin sera accessible aux Cubains gratuitement, mais sans obligation ; il sera aussi proposé « en option » aux touristes. Préqualifié par l’Organisation panaméricaine de la santé, il ferait partie, à terme, du Fonds renouvelable pour les vaccins, le mécanisme d’achat de la région.

Trois autres candidats vaccins sont en lice : Soberana 1, lui aussi développé par l’Institut Finlay, bientôt testé sur des convalescents de la maladie ; Abdala (du nom d’un poème de José Marti) et Mambisa (comme on appelait les guerilleras ayant pris part à la lutte d’indépendance au XIXe siècle), mis au point par le Centre d’ingénierie génétique et de biotechnologie (CIGB). Ce dernier sera administré non pas par injection, comme les trois premiers, mais par spray nasal.

Un enjeu de santé publique et de souveraineté

Ces prouesses scientifique et industrielle sont d’autant plus remarquables que le secteur des biotechnologies a été durement affecté par le renforcement des sanctions états-uniennes par l’administration de Donald Trump, dont l’une des dernières initiatives fut d’inscrire de nouveau Cuba sur la liste des États désignés comme « terroristes » par Washington. Par crainte des représailles, de nombreuses entreprises pharmaceutiques ont mis fin à leurs coopérations, sans parler des banques contraintes de refuser toute transaction liée au pays. Dans son acharnement, l’administration Trump est allée jusqu’à décréter l’interdiction d’entrée sur le territoire cubain des médicaments ou équipements contenant au moins 10 % de composants d’origine américaine, quelle que soit leur provenance.

Pour le pays, l’un des moins touchés par la pandémie dans la région, mais confronté, en ce moment, à un rebond des contaminations, la mise au point d’un vaccin contre le Covid-19 est un enjeu de santé publique et de souveraineté. Sous embargo américain depuis 1962, Cuba, qui consacre un quart de son budget à la santé, a dû compter sur ses propres remèdes. D’où le choix, dans les années 1980, d’opter pour le développement des biotechnologies, un pari aussitôt couronné de succès, avec la création du premier vaccin contre le méningocoque B.

La Grande Île produit aujourd’hui 8 des 11 vaccins inclus dans son programme national de vaccination infantile, qui couvre 13 maladies ; ce savoir-faire profite déjà à une quarantaine de pays. L’expertise de ses chercheurs a rendu possible, aussi, le développement de médicaments pour lutter contre tout un faisceau de maladies infectieuses. Un atout majeur pour la prise en charge sanitaire de la population de l’île, mais aussi une source de revenus cruciale : l’exportation de services médicaux –- médicaments, vaccins et personnel médical – a rapporté 6,3 milliards de dollars en 2018.

 

Le développement de vaccins contre le Covid-19 échappant à la toile de Big Pharma représente un espoir pour les pays du Sud, même si les entraves posées par le blocus et l’accès difficile aux matières premières placent Cuba en situation de dépendance vis-à-vis d’autres pays pour leur production à grande échelle. « La contribution de Cuba avec son vaccin pourrait être très importante pour certains groupes vulnérables de notre région », comme les communautés autochtones isolées, souligne le docteur José Moya, représentant cubain auprès de l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS).

Une tradition d’internationalisme médical

Une carte supplémentaire dans le jeu global de la « diplomatie sanitaire » auquel donne lieu la pandémie ? Pas seulement. Cuba s’inscrit en fait dans la longue tradition d’un internationalisme médical qui s’est forgé dans les luttes de décolonisation. C’est l’Algérie, la première, qui a reçu, au lendemain de son indépendance, le premier contingent de médecins cubains, en 1963. Deux ans plus tôt, un navire cubain livrait armes et médicaments aux insurgés, avant de rentrer avec, à son bord, une centaine d’orphelins et de blessés de guerre. Fidel Castro mettait alors en place un système de formation rapide pour combler le vide laissé par l’exode de la moitié des médecins de l’île ayant fui la révolution.

Par la suite, des brigades médicales cubaines furent envoyées sur le front en Guinée-Bissau, en Angola, au Nicaragua. Ces médecins cubains sont intervenus auprès de populations meurtries par les catastrophes naturelles : après le passage des cyclones George et Mitch en Amérique centrale ou dans les ruines de séismes dévastateurs, en 2005 au Cachemire, en 2010 en Haïti, où sévissait de surcroît une grave épidémie de choléra. Leur contribution fut encore décisive en Afrique de l’Ouest, lors de l’épidémie d’Ebola, en 2013.

Fait nouveau, en 2020, dans le désarroi de la pandémie de Covid-19, ces équipes médicales cubaines ont offert leur assistance aux soignants épuisés de l’une des régions les plus riches d’Europe : la Lombardie. Avant d’aller épauler leurs homologues dans des territoires sous administration française : Martinique, Guadeloupe, Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon. Au total, 50 000 médecins cubains étaient déployés à l’étranger, en 2019 ; ils sont aujourd’hui sollicités dans 38 pays pour faire face au nouveau coronavirus. Une précieuse internationale de la santé.

Les médecins cubains, futurs prix Nobel de la paix ? La campagne internationale pour promouvoir les brigades médicales internationales cubaines au prix Nobel de la paix 2021 se poursuit, alors que les dépôts de candidatures ont pris fin le 31 janvier. Des parlementaires dans toute l’Europe, en France, en Allemagne ou en Belgique, des personnalités comme le travailliste britannique Jeremy Corbyn militent pour la reconnaissance des quelque 4 000 médecins, infirmières et techniciens déployés dans une quarantaine de pays pour aider à contenir la propagation du coronavirus en Europe, en Amérique latine, aux Caraïbes, en Afrique et au Moyen-Orient. Censée récompenser « la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix », la prestigieuse distinction fera l’objet d’une farouche opposition de la droite et l’extrême droite états-uniennes, avant d’être attribuée à Cuba : pour les républicains draguant l’électorat anticastriste de Floride, les médecins cubains seraient victimes de « trafic d’êtres humains » et de « travail forcé » (sic).

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