La Cour pénale internationale s’est dite compétente,
vendredi, pour instruire les affaires d’exactions commises dans les territoires
occupés et pourra cibler la colonisation. La reconnaissance de la Palestine
comme État non membre de l’ONU porte ses fruits.
Fatou Bensouda, la procureure de la Cour
pénale internationale (CPI), créée en 2002 pour juger les crimes les plus
terribles commis sur la planète, avait prévenu : elle voulait se pencher sur
ceux commis lors de la guerre de l’été 2014 menée par Israël contre Gaza.
Une offensive terrible contre des populations prisonnières d’un territoire minuscule
et fermé, comme nous avions alors pu le constater sur place comme envoyé
spécial de l’Humanité en pleine période de ramadan. Un mois de
bombardements incessants, de destructions de quartiers habités par des civils.
Des familles entières forcées de fuir leurs maisons comme Madjid Djindiya, sa
femme et leurs cinq enfants, dont nous avions publié le témoignage le
24 juillet 2014 : « Nous habitions près de la frontière, racontait-il. Nous
avons vu les chars se positionner mais ils n’avançaient pas. Soudain, ça a été
pire qu’en 2008-2009. Les missiles ont commencé à tomber, sans arrêt, et
s’écrasaient sur les maisons. Nous ne pouvions plus rester. Nous sommes partis
pieds nus. Pour sortir de Chudjaiya, nous avons dû marcher sur les corps des
morts. J’ai même vu le cadavre d’un enfant sans tête. »
Première enquête indépendante
Cette guerre a fait 2 251 morts côté
palestinien – en majorité des civils – et 74 du côté israélien,
essentiellement des soldats. Un rapport officiel israélien publié en
juin 2015 affirme que les soldats n’ont « pas intentionnellement
visé des civils ou des cibles civiles » pendant la guerre de 2014
et que leurs actions étaient « légitimes » et « légales ». La
justice militaire israélienne a mené ses propres enquêtes sur les agissements
des soldats israéliens pendant la guerre et avait annoncé en avril 2015
l’inculpation de trois d’entre eux pour pillage. Tel-Aviv a affirmé n’avoir pas
besoin d’autres investigations.
Mais, jusqu’à présent, Israël n’a jamais
été inquiété malgré les suspicions de crimes de guerre. Aucune enquête
indépendante n’avait jamais réellement été diligentée, ni à Gaza ni en
Cisjordanie. L’Autorité palestinienne (AP) avait bien saisi la Cour pénale
internationale en 2009 après la guerre menée déjà contre la bande de Gaza.
Mais elle avait été déboutée. Il lui aura fallu attendre 2012 sa
reconnaissance en tant qu’État observateur de l’ONU pour adhérer, en 2015,
à la CPI, malgré les menaces israéliennes et états-uniennes. L’AP saisit alors,
en 2018, la Cour internationale pour « crimes de guerre » et « crimes contre
l’humanité » commis sur son territoire.
La colère de Netanyahou
En dépit des pressions exercées par le
gouvernement de Donald Trump notamment contre Fatou Bensouda, les juges de la
chambre préliminaire ont enfin décidé vendredi que la compétence de la
CPI « s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à
savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ». Tout en
prenant bien soin de préciser que cette cour « n’était pas
constitutionnellement compétente pour statuer sur les questions de statut
d’État qui lieraient la communauté internationale » et que « la
chambre ne se prononce pas sur un différend frontalier en vertu du droit
international ni ne préjuge de la question d’éventuelles futures frontières ».
Benyamin Netanyahou, le premier ministre
israélien, a bien compris la portée d’une telle décision de la Cour pénale
internationale. Celle-ci peut enquêter sur les crimes de guerre mais également
sur la colonisation elle-même, le cœur du projet sioniste. « Quand la
CPI enquête sur Israël pour de faux crimes de guerre, c’est purement et
simplement de l’antisémitisme », affirme Netanyahou. En droite ligne
de sa campagne visant à faire de toute critique contre Israël une parole
antisémite. Ce faisant, il place de nombreux dirigeants européens dans une
contradiction entre leur adhésion à la CPI (ce qui n’est pas cas d’Israël ni
des États-Unis) et leur acceptation de l’idée que derrière la critique de la
politique israélienne se cacherait en réalité un antisémitisme débridé. L’Union
européenne est d’ailleurs bien silencieuse depuis l’annonce de la CPI. Ce qui
n’est pas le cas de Washington, qui s’est dit « sérieusement préoccupé
par les tentatives de la CPI d’exercer une juridiction sur les militaires
israéliens », a expliqué le porte-parole du département d’État
américain, Ned Price, de la nouvelle administration Biden.
Le fruit de plusieurs années de lutte
À l’inverse, le premier ministre palestinien, Mohammed
Shtayyeh, s’est félicité de « cette décision (qui) est une victoire
pour la justice et l’humanité, pour les valeurs de vérité, d’équité et de liberté,
et pour le sang des victimes et de leurs familles ». Même le Hamas,
qui pourrait pourtant être visé par les enquêtes de la CPI, a salué une « étape
importante ». De son côté, Riyad Mansour, représentant permanent
palestinien à l’ONU, fait remarquer que la décision de la CPI est le fruit
d’années de combats sur la scène internationale. « Pendant longtemps,
les gens étaient sceptiques quant à l’importance de ces efforts internationaux,
mais, sans le fait que la Palestine devienne un État observateur non membre de
l’ONU, qu’elle se qualifie pour le Statut de Rome et qu’elle rejoigne la CPI,
nous n’aurions pas eu cette décision. » Dans ce cadre, la
reconnaissance de la Palestine par la France ne peut être qu’un pas de plus
pour le respect du droit international et de la justice.
Des élections en israël et en palestine
Les électeurs israéliens devraient se
rendre aux urnes au mois de mars pour la quatrième fois consécutive en moins de
deux ans et élire ainsi une nouvelle Knesset. Netanyahou espère sauver son
poste et ainsi éviter de se retrouver devant la justice pour des affaires de
corruption.
Les
Palestiniens espèrent également élire leurs nouveaux députés ainsi que leur
président, en mai et juin, puis, en août, leurs représentants à la direction de
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Pour l’heure, Israël
n’a pas dit si ce scrutin pourrait se tenir à Jérusalem-Est occupé.
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