À quinze mois de l’élection présidentielle, le chemin
pour éviter une troisième élimination de la gauche au profit de l’extrême
droite est étroit. Partis et potentiels candidats avancent, pour l’instant,
suivant leur propre scénario.
Après le séisme politique de 2017,
pourra-t-on échapper au tsunami en 2022 ? La question taraude à gauche. Il faut
dire que, entre la pandémie, la crise économique et sociale et la démocratie
mise sous cloche, la situation est particulièrement brouillée. Dans les partis
ou mouvements, chacun à gauche avance sur son script pour éviter un scénario
funèbre où Emmanuel Macron et Marine Le Pen se partageraient à nouveau les
premiers rôles. La partition sera-t-elle suffisamment harmonieuse ? À un peu
moins de quinze mois de l’élection présidentielle, c’est peu dire que le point
de départ annonce une course difficile. « Dans nos enquêtes, quel que
soit le scénario testé, on a une élimination de la gauche, un troisième
21 avril dans un contexte où une très nette majorité de Français, de l’ordre
de 70 %, ne veut pourtant pas de ce scénario », relève le directeur
général adjoint de l’Ifop, Frédéric Dabi. Sans compter que, après un
quinquennat catastrophique, la digue Macron pourrait finir par céder. « Une
enquête d’intentions de vote, prévient-il, n’est pas une
prédiction, ni une prophétie, c’est un rapport de forces à un moment donné. »
Attente d’une « offre unitaire »
Pour Fabien Roussel, le secrétaire
national du PCF, la première clé réside là : « Pour commencer, il
faudrait arrêter d’être le relais de ce scénario qui est aussi probable que
celui que le Parti communiste français fasse un très bon résultat. Il faut
arrêter de relayer cette propagande de la gauche caviar, des Joffrin et
compagnie qui, à coups de sondages, à plus d’un an d’une élection, nous disent
déjà quel va être le second tour pour installer dans les têtes l’idée qu’il f aut
un seul candidat à gauche. Et, bien sûr, pour faire taire le courant
révolutionnaire, anticapitaliste », estime le député du Nord, partisan
d’une candidature communiste dans le cadre du débat que vient d’ouvrir son
parti et que les militants trancheront en mai.
Parmi les formations de gauche, peu
plaident pour le rassemblement désormais, malgré « une attente du
peuple de gauche pour éviter un troisième 21 avril » attestée par
des enquêtes qualitatives, selon Frédéric Dabi. « Selon notre baromètre
“être de gauche aujourd’hui”, 71 % des sympathisants voudraient une offre
unitaire à gauche », rappelle-t-il également.
Le créneau toutefois est occupé par le premier
secrétaire du PS, Olivier Faure, même si les aspirants socialistes – à
commencer par Anne Hidalgo – ne manquent pas. « Si la gauche
n’était pas la plus bête du monde et qu’elle savait présenter une offre
commune, elle serait devant Marine Le Pen et Emmanuel Macron », a-t-il
encore lancé, fin janvier sur Europe 1. Le député de Seine-et-Marne entend
ainsi trouver le chemin pour « arriver à un contrat de coalition, de
gouvernement ». Il a lancé, avec l’objectif affiché de parler d’abord du
fond, une « primaire des idées ». Le tout avant une « primaire,
un comité des sages, une convention citoyenne » pour trancher la
question du candidat, imagine celui qui n’a de cesse de promettre qu’il a tiré
les leçons du quinquennat Hollande… Sans convaincre.
Divergences et clivages
Il faut dire que la plaie est encore à
vif. « La gauche paie toute une série de choses, diagnostique
Frédéric Dabi : sa dispersion, l’exercice du pouvoir par François
Hollande qui a finalement entamé la crédibilité de tous, et des fractures sur
les questions économique, de la sécurité, de la laïcité. »
Si Faure veut croire que les « divergences » sont
dépassables, l’avis est loin d’être partagé. « Entre ceux qui défendent
des traités européens, les lois de la libre concurrence, de l’offre et de la
demande et ceux qui sont pour reprendre le pouvoir sur la finance, pour sortir
des traités, ce sont des antagonismes profonds », estime Fabien
Roussel, qui fustige l’idée d’une candidature unique. « Est-ce que
c’est cela, interroge-t-il, qui donnera envie à des électeurs
déçus des trahisons de Hollande de revenir voter ? Pour toucher leur cœur, il
va falloir leur parler vrai, pas avec des programmes fourre-tout pour
agglomérer des candidatures. »
De son côté, le chef des insoumis,
Jean-Luc Mélenchon, déjà en campagne, tout en refusant d’envisager une alliance
avec le PS et les écolos, se fait moins virulent que par le passé. « Nous
n’avons rien à gagner à nous jeter des pierres », plaide-t-il désormais.
Alors qu’il a, ces dernières années, renvoyé les communistes à « la
mort et (au) néant » et sans cesse dénoncé la « tambouille de
la soupe de logos », il a même, en décembre, proposé un pacte au
PCF. « Il est clair que nous aurions tout intérêt en 2022 à avoir un
bel accord présidentielle et législatives dont tout le monde sortirait
renforcé. On le peut », développe l’insoumis Adrien Quatennens. Pas
suffisant, a priori, pour apaiser les esprits, d’autant que la FI ne manque pas
une occasion de souligner que Mélenchon a déjà reçu le soutien de certains élus
communistes. Mais le credo du dépassement du clivage gauche-droite, sur le mode
populisme de gauche, serait-il remisé au placard ? « Notre idée est de
faire l’union mais dans la clarté, sans concéder sur un tas de choses. Ce n’est
pas avec Anne Hidalgo que l’on va pouvoir parler de sortie des traités
européens et de VIe République par la Constituante »,
assure, en tout cas, Adrien Quatennens, qui dit craindre la tendance du vote Le
Pen à « s’enkyster dans le pays ». De ce fait, le député FI
juge « voué à l’échec de dire aux gens de voter contre » : « C’est
pour ça que nous avons lancé la candidature de Jean-Luc Mélenchon avec le
slogan “Nous sommes pour”. »
Les tenants du « en même temps »
Mis en sourdine de ce côté, le dépassement
des clivages traditionnels réapparaît à gauche sous une tout autre forme. Celle
de la triangulation tentée par Arnaud Montebourg qui se plaît à faire connaître
ses rendez-vous réguliers avec Xavier Bertrand, potentiel candidat de droite,
et leurs possibles convergences sur le terrain de la souveraineté économique.
Un nouvel « en même temps » ? C’est aux déçus de la formule du chef de l’État
que l’écologiste Yannick Jadot voudrait, pour sa part, s’adresser en plaidant
pour « rassembler » ceux « qui se situent entre
Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron » : « Je crois
dans les entreprises pour assurer la transition écologique, je crois dans
l’Europe… », a-t-il répété la semaine dernière. À rebours, Éric
Piolle, qui devrait rejoindre, après Sandrine Rousseau, les rangs de la
primaire écolo, estime que « s’unir pour s’unir, ça a donné la victoire
de François Hollande en 2012 ». Et d’en conclure : « Je ne sais pas
si c’est le meilleur souvenir pour des électeurs de gauche. » Au fond,
si un point met tout le monde d’accord chez EELV, c’est que la pièce maîtresse
se trouve dans leurs rangs. « Nous allons proposer l’alliance. Mais
s’effacer, on a déjà donné », résume le secrétaire national d’EELV,
Julien Bayou, porté par les dernières municipales et européennes. « Tout
l’enjeu, c’est d’arriver à construire, non pas une coalition du rejet, mais un
projet commun. Je ne vois pas ce qui pourrait être la locomotive de cette
nouvelle coalition si ce n’est l’écologie », argue-t-il. Son plan :
organiser la primaire d’EELV puis proposer à d’autres de les rejoindre.
« Problème d’incarnation »
De quoi peut-être expliquer un paradoxe
apparent des sondages. Car si beaucoup d’électeurs assurent vouloir l’unité,
une candidature unique, lorsqu’elle est testée, enregistre des déperditions.
Tout se passe comme si, à l’instar des dirigeants de parti, chacun voulait voir
les autres derrière son propre champion. Exception faite, non pas d’une
candidature de toute la gauche mais d’un pôle socialiste-écologiste qui, selon
un sondage Ipsos publié la semaine dernière, engrangerait 17 % emmené par
Jadot et 16 % par Hidalgo, soit un total supérieur à celui de leurs
candidatures testées séparément. Reste qu’ « on n’a jamais eu un total
gauche aussi faible, même en 1995, même en 2007, on a pour l’instant un niveau
qui souvent ne dépasse pas 25 % », remarque Frédéric Dabi, pour
qui, plus que dans « une offre dispersée », la difficulté réside
dans « un problème d’espace, d’incarnation ». Et « croire
qu’un candidat unique de toute la gauche ferait 25 %, le total des
candidats de gauche sondés, c’est une erreur », tranche Fabien
Roussel. « Pour plein de militants de gauche honnêtes, s’il y a
4 candidats, ça fait 1 + 1 + 1 + 1. Mais ce n’est pas le
cas. Des électorats s’additionnent parfaitement et créent même dans certaines
conditions des dynamiques. L’électorat FI et l’électorat PCF par exemple, en
réalité ça fait plus que 1 + 1 = 2. C’est moins vrai dans le cas de
FI et EELV », aimerait pour sa part convaincre Adrien Quatennens.
Les regards se tournent alors vers les
abstentionnistes. Éviter un troisième 21 avril ? « C’est tout
simplement faire le choix de s’adresser à ceux qui n’y croient plus, à ceux qui
ne vont plus voter ou à ceux qui utilisent leur bulletin de vote parfois en se
trompant de colère, et en leur disant que c’est en agissant ensemble qu’on peut
changer les choses », martèle Fabien Roussel, qui ne désespère pas de
la multiplication des records d’abstention que la candidature communiste,
malgré une bonne campagne, n’a pas réussi à déjouer aux dernières européennes.
Reconquête de l’électorat populaire
« Il faut persévérer, poursuit-il, inlassablement, dans les
associations, les syndicats, les communes, les entreprises, partout où nous
sommes organisés, nous devons porter ce message de mobilisation générale contre
ce système économique et pour une nouvelle République sociale, écologique,
féministe. » Le député du Nord en est persuadé : « Toute la
gauche a tiré un trait sur l’électorat populaire. »
Le terrain, au moins dans les
déclarations, est pourtant disputé. « Avec Jean-Luc Mélenchon, on sait
avoir un socle plutôt solide aux alentours de 10 %, celui des gens
certains de voter pour lui. Ensuite, il faut élargir. La première chose à
faire, c’est d’aller chercher les électeurs abstentionnistes, c’est-à-dire les
dégoûtés de la politique », explique Adrien Quatennens. Ou encore
Julien Bayou : « Les quartiers populaires sont ceux qui ont le plus
besoin de l’écologie. On va les chercher en le démontrant et on compte beaucoup
sur les réalisations de nos maires pour cela. »
Avant la fin de la « primaire des idées » du PS cet
été, et la désignation du candidat écologiste en septembre, les communistes
seront les prochains à se prononcer. « J’ai demandé personnellement,
précise Fabien Roussel, que notre choix pour l’élection présidentielle
soit fait en tenant compte des élections législatives. Car l’objectif ,
c’est d’aller reconquérir l’électorat populaire, reconstruire l’influence du
Parti communiste français et d’avoir plus de députés à l’Assemblée nationale.
J’ai donc fixé ces orientations et nous devons aujourd’hui y travailler et
trouver quel est le meilleur moyen pour y parvenir. » Tout
demeure possible, mais le chemin n’en sera pas moins semé d’embûches.
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