Persistance des anciennes filières, maintien des
inégalités sociales et de genre : deux ans après sa mise en place, la réforme
du bac général rate ses objectifs proclamés.
Casser les anciennes filières, accusées
d’enfermer les jeunes dans des tunnels d’orientation et de figer les
inégalités, et permettre aux élèves de composer en toute liberté un bac à la
carte : tels étaient les objectifs proclamés de la réforme du bac, imposée par
Jean-Michel Blanquer malgré l’opposition forte d’une grande partie des
enseignants. Deux ans après, on peut pour la première fois, observer les choix
d’élèves de terminale, qui n’ont connu qu’elle. Et que voit-on ? Peu ou prou,
la reconstitution des anciennes filières, avec les mêmes marqueurs
d’inégalités. Autrement dit, un échec à peu près complet.
Une note de la Direction de l’évaluation
du ministère de l’Éducation nationale, publiée le 16 novembre, se penche
sur la question. Première observation : sur douze spécialités proposées, trois
sont plébiscitées, choisies par au moins un tiers des lycéens. Il s’agit des
mathématiques, de la physique-chimie et des sciences économiques et sociales
(SES). Sept spécialités accueillent au moins 10 % des élèves. Les autres
sont pulvérisées, y compris le « numérique et sciences informatiques » (NSI) ou
les « sciences de l’ingénieur » (SI), choisis par seulement 3,7 % et
2 % des élèves. Le latin et le grec font, eux aussi, naufrage, choisis par
0,1 % des futurs bacheliers. Attention : outre les choix des élèves, il
faut y voir aussi un effet de l’offre. Rares sont les établissements qui
proposent toutes les spécialités et, si sept d’entre elles dominent, c’est
aussi parce que les autres se font rares…
Les combinaisons innovantes demeurent marginales
Mais pris isolément, les choix de
spécialités ne signifient pas grand-chose. Il faut regarder les « doublettes »,
c’est-à-dire les deux spécialités (contre trois en première) que l’élève
choisit de conserver en vue du bac. Sur les dizaines de choix possibles, quinze
doublettes rassemblent 90 % des élèves. Et les cinq premières, encore
61 %. Lesquelles, on vous le donne en mille : les paires maths
+ physique-chimie, physique-chimie + sciences de la vie et de la
Terre (SVT) et maths + SVT, correspondant à l’ancienne filière S,
regroupent près de 40 % des élèves (39,6 %). En 2018, dernière année
de l’ancien bac, ils étaient 51 % inscrits en S. L’ancienne filière
économique et sociale (ES), 34 % des candidats en 2018, ne se laisse pas
effacer non plus, les trois doublettes qui s’en approchent le plus rassemblant
encore 27,1 % des candidats au bac. Certes, les élèves qui ont choisi de
casser les codes avec des appariements innovants existent, mais ils restent à
la marge : SES + SVT, ou HGGSP (histoire-géo, géopolitique et sciences
politiques) + SVT, ne totalisent pas plus de 3 % chacune.
Les élèves défavorisés en lettres, langues et humanités
La réforme se montre aussi très efficace
pour perpétuer les inégalités sociales et de genre. Alors que 56 % des
élèves de terminale sont des filles, elles sont sous-représentées en
physique-chimie (48 %), en mathématiques (42 %), et pire encore en SI
et NSI, où elles dépassent à peine les 10 %. En revanche, elles sont
surreprésentées dans les spécialités littéraires. Sans surprise, les garçons
dominent dans les doublettes scientifiques : de 90 % pour maths + NSI
à 64 % pour maths + physique-chimie. Exactement comme avant.
Pas vraiment de changement, non plus, sur le plan des
inégalités sociales : les deux tiers des élèves ayant choisi les doublettes
maths + physique-chimie (66 %) ou maths + HGGSP (67,3 %)
sont issus des catégories favorisées. Ils sont encore 56,6 % en maths
+ SES, et plus de 51 % en HGGSP + SES ou en maths + SVT.
Inversement, les élèves défavorisés, qui constituent 21,4 % du total, sont
surreprésentés dans des doublettes plutôt littéraires, humanités + langues
(27,8 %) ou humanités + SES (28,8 %). Au final, alors que les
effets délétères de la réforme (désorganisation des établissements, emplois du
temps impossibles, brassage inévitable par temps de Covid, perte du caractère
national du diplôme avec les E3C…) pèsent lourdement, ses effets positifs sont
presque impalpables. Tout ça pour ça ?
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