À propos d’une conception universaliste…
Horizon. Parvenus à ce
point de bascule du (nouveau) monde qui nous conduit du doute fondamental aux
doutes multiples et inouïs, nous regardons la France avec d’autant plus
d’introspection que la situation nous afflige. Nous y voilà, à cette «deuxième
vague», sournoise et incompréhensible à bien des égards. On nous l’annonce
« forte », à l’image des mesures désormais annoncées. Et nos gouvernants nous
ont rendus plus faibles. Résumons : politique de dépistage catastrophique ;
traçage déficient ; isolement inexistant ; refus dogmatique de rendre les
masques gratuits ; naufrage de l’application StopCovid ; culpabilisation des
individus… La plupart des réponses restent incohérentes et – surtout –
illisibles dans la durée. Comme si l’État, celui de notre République soi-disant
chérie, se trouvait dans une totale incapacité à anticiper, à planifier, à
regarder ne serait-ce que du bout des yeux cette part d’horizon – qui
s’obscurcit désespérément. Notre art du collectif semble même atomisé, tétanisé
par la peur des jours d’après, des semaines à venir, des mois qui paraissent
des années. Tout devient difficulté, pris que nous sommes dans une tenaille
mortifère, entre absence de visibilité et climat anxiogène. La crise d’autorité
atteint des sommets, dans tous les secteurs de la vie commune – jusqu’aux
sciences, ce qui laissera des traces durables sur notre capacité de citoyens à
«avoir confiance» – et elle se double de toutes les crises conjuguées,
sanitaires, sociales, économiques, culturelles. Le pouvoir en place est proche du
fiasco. Et il le sait, poussant les réflexes de repli, d’égoïsme, transformant
les légitimes gestes barrière en barricades. Qui ne verra pas le bout du
tunnel? Eux? Nous?
Activisme. Au cœur de cet ici
et maintenant si singulier, Noam Chomsky, le célèbre professeur américain,
annonçait la semaine dernière: «Nous vivons l’instant le plus dangereux
de l’histoire de l’humanité.» Exagère-t-il? Pour lui, la crise
climatique, la menace de la guerre nucléaire et la montée des autoritarismes sont
la fabrique des temps modernes, qui laisse entrevoir la survenue potentielle de
«la» catastrophe. Le linguiste et activiste, âgé de 91 ans, affirme que
les périls en question dépassent ceux des années 1930: «Il n’y a rien
eu de semblable dans l’histoire de l’humanité. Je suis assez âgé pour me
souvenir, de façon très vivante, de la menace que le nazisme puisse s’emparer
d’une grande partie de l’Eurasie, ce n’était pas une préoccupation futile. Les
planificateurs militaires américains avaient prévu que la guerre se terminerait
avec une région dominée par les États-Unis et une région dominée par
l’Allemagne… Mais même cela, suffisamment horrible, n’était pas comme la fin de
la vie humaine organisée sur Terre, ce à quoi nous sommes confrontés.» Évoquant
le premier sommet de l’Internationale progressiste (18-20 septembre dernier),
une nouvelle organisation fondée par Bernie Sanders, l’ancien candidat à la
présidence américaine, et Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des
Finances, avec pour but de contrer l’autoritarisme de droite, Chomsky prend à
son compte l’hypothèse: «Internationalisme ou extinction.» Ou
pour le dire autrement, il appelle à la naissance d’une coalition
mondiale «pour la justice et la paix, pour la participation
démocratique, pour des institutions sociales et économiques changeantes, afin
qu’elles ne soient pas orientées vers le profit privé pour quelques-uns mais
vers les besoins et les préoccupations de la population générale». Une
sorte d’activisme constant. Le bloc-noteur ajoutera que ce «signal» prend écho
dans la dernière encyclique du pape François, Fratelli tutti, qui
nous invite à repenser la question du « peuple » comme construction sociale et
culturelle. Pas d’identité figée, mais l’émergence d’une conception
universaliste. C’était jadis la matrice de notre République. Nous en avons plus
que jamais besoin…
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