Alexandre Fache
Alors que le chef de l’État doit s’exprimer ce
mercredi soir sur la crise sanitaire, l’Humanité a choisi de passer au crible
la stratégie française de lutte contre l’épidémie. Résultat : à chaque niveau,
des insuffisances coupables. DÉCRYPTAGE.
Serions-nous revenus en mars ? La première
vague s’apprête à alors déferler sur le pays et le gouvernement tente de
dresser des digues. Au coup par coup. Le 9, les rassemblements de plus de
1 000 personnes sont interdits, le 11, les visites dans les Ehpad. Le 12,
Emmanuel Macron annonce la fermeture de « toutes les crèches, écoles,
collèges, lycées et universités » de France, pour faire face à « la
plus grave crise sanitaire depuis un siècle ». Quatre jours plus tard,
nouvelle allocution présidentielle : « La France est en guerre », un
confinement national est décrété. Alors que le chef de l’État doit s’adresser à
la population ce mercredi, qu’attendre de cette intervention ? La situation
est-elle la même, qu’il y a sept mois ? Et surtout les leçons de la première
vague ont-elles été tirées ? Sur ce point, le doute est permis. Lundi, sur
France Info, Jean Castex a préféré la culpabilisation au mea culpa.
Constatant « une deuxième vague forte », le premier ministre a
demandé aux Français de mettre fin au « relâchement ». « Ils ont
considéré un peu trop vite, malgré les discours que nous tenions, que
ce virus avait disparu », a-t-il accusé. Si l’épidémie repart
(27 000 cas recensés samedi dernier, plus de 1 500 patients Covid en
réanimation lundi), ce serait la faute de ces irréductibles Gaulois,
réfractaires aux consignes de prudence… La ficelle est un peu grosse. Surtout
au regard des insuffisances de la stratégie française, basée sur le fameux
triptyque « tester, tracer, isoler ».
1. Dépister : des délais toujours rédhibitoires
Depuis le 16 mars, l’OMS le martèle :
pour contrôler une épidémie, il faut « tester, tester, tester », car « on
ne combat pas un incendie les yeux bandés ». Une injonction
tardivement prise en compte par les pouvoirs publics. À l’époque, les capacités
de dépistage en France sont quinze fois inférieures à celles de l’Allemagne
(35 000 tests PCR hebdomadaires contre 500 000 outre-Rhin). Désormais
au-dessus du million de tests par semaine, elles ont enfin atteint les niveaux
promis… sans pour autant mettre fin aux délais d’attente (plusieurs jours pour
avoir un rendez-vous, puis pour obtenir les résultats), en particulier dans les
zones tendues. « Un test PCR, c’est long, explique Anne
Goffard, virologue au CHU de Lille. Il faut trier les échantillons, les
enregistrer dans le s ystème informatique, les répartir dans les
plaques des robots, etc. En indiquant que tout le monde pouvait se faire
dépister, on a engorgé les labos. Et, depuis une semaine, on constate des
tensions sur les réactifs, ce qui accroît encore les délais. En réalité, nous
ne sommes pas capables de faire du dépistage massif. » En septembre,
le gouvernement a bien réinstallé une priorisation de ces tests pour les
personnes symptomatiques et les cas contacts. Mais l’embouteillage reste
conséquent.
Pour sortir de l’impasse, le gouvernement
compte désormais sur les tests antigéniques, validés vendredi par la Haute
Autorité de santé (HAS). « Le but, c’est d’être capable de tester plus
de personnes et plus vite », a expliqué Dominique Le Guludec,
présidente de la HAS, car « la situation épidémique » entraîne « une
très forte demande ». Si les prélèvements sont les mêmes que pour les PCR
(des écouvillons dans les narines), les résultats de ces tests antigéniques
arrivent bien plus vite (entre 10 et 30 minutes), car ils ne nécessitent
pas d’analyse en laboratoire et peuvent être réalisés par un généraliste, un
infirmier ou un pharmacien. Problème : leur sensibilité aux charges virales
faibles est moins bonne et il faut les pratiquer dans les quatre jours après
l’apparition des symptômes. Pour l’épidémiologiste Catherine Hill, plus que des
insuffisances dans l’arsenal des tests, la France paie aujourd’hui « ses
erreurs de stratégie ». « On se concentre sur les cas symptomatiques, alors que
les porteurs asymptomatiques représentent environ la moitié des cas (…)
Aujourd’hui, trois cas détectés sur quatre ne sont pas cas contact d’un cas
connu. Il faut dépister à beaucoup plus grande échelle », martèle la
chercheuse depuis des mois.
2. Tracer : et si on cherchait plutôt les lieux ?
Directeur de l’Institut de santé globale à
Genève, l’épidémiologiste Antoine Flahault pointe lui aussi « un
problème de stratégie », qui ne serait pas le seul fait de la France,
mais plus largement des pays occidentaux. « Regardons ce que font ceux
qui maîtrisent le mieux l’épidémie, comme le Japon ou la Corée. Là-bas, le
traçage a un but plus “rétrospectif” que “prospectif”. On cherche à retrouver
qui a transmis le virus, et surtout dans quel lieu la propagation a pu se
faire. C’est l’événement super-propagateur que l’on recherche, pour tenter de
remonter la chaîne des contaminations. » Résultat : depuis le début de
la pandémie, le Japon affiche un taux de mortalité lié au Covid (pour
100 000 habitants) de 1,3, la Corée de 0,8, quand le meilleur élève
européen est à 5, la France à 48, la Belgique à 87, et les États-Unis à 65.
Dans l’Hexagone, deux outils devaient
permettre de réaliser ce traçage, destiné à casser les chaînes de
contamination : la fameuse application StopCovid, et les « brigades »
d’enquêteurs mises en place par l’assurance-maladie pour retrouver les cas
contacts. « Deux approches complémentaires », à même de « toucher
des publics différents », avait jugé au printemps le Conseil
scientifique. Mais, dans les deux cas, le bilan n’est pas à la hauteur. Avec
l’emballement de l’épidémie et des journées dépassant les 20 000 nouveaux
cas positifs au Sars-Cov-2, difficile pour les brigades de suivre le rythme. Et
ce, même si le nombre de cas contacts déclarés ne cesse de fondre (2,5 contre 5
cet été). Quant à l’appli, elle a tourné au fiasco. Et pas seulement parce que
le premier ministre, qui l’a encore appelée TéléCovid (!) lundi, a indiqué ne
pas l’avoir téléchargée. Devant les sénateurs, le secrétaire d’État au
Numérique, Cédric O, a reconnu qu’elle fonctionnait « mal », invitant
les professionnels de santé à la défendre un peu plus. « S’ils
estiment que c’est utile, alors ils doivent le dire. » Lundi, Jean
Castex a annoncé qu’une nouvelle version serait présentée le 22 octobre. À
ce jour, seuls 2,6 millions de téléchargements de StopCovid ont été
enregistrés depuis début juin, contre 16 et 18 millions pour ses
équivalents anglais et allemand.
3. Isoler : des quarantaines à géométrie variable
Troisième volet de la stratégie française, l’isolement
des personnes testées positives. Initialement de quatorze jours, comme le
préconise l’OMS, la quarantaine a été abaissée à sept jours, le
11 septembre, pour des raisons qui n’ont rien de scientifique. « Quatorze
jours chez soi, après le confinement, c’est très compliqué. Il y aura une
meilleure adhésion des Français à une période raccourcie, mais qui doit être
absolument respectée », avait justifié le ministre de la Santé,
Olivier Véran. L’est-elle vraiment ? Entre les pressions de certains
employeurs, la peur de perdre son boulot pour les plus précaires ou l’absence
de contrôle du respect de cet isolement, il paraît évident que beaucoup de cas
positifs passent entre les mailles du filet. « “Tester, tracer, isoler”,
c’est la méthode idéale, mais on n’en a pas les moyens, humains ou
techniques », constate la virologue Anne Goffard. Qui souligne aussi
les problèmes sociaux que pourrait poser cette logique poussée à
l’extrême : « Si vous avez une mère de famille positive, comment lui
dire d’aller s’isoler à l’hôtel ? Qui va gérer le reste de la famille s’il
s’agit d’un parent isolé ? » Antoine Flahault rappelle aussi que la
vague qui avait contraint, cet été, Melbourne (Australie) à se reconfiner,
était partie d’une famille de quatre personnes, placée à l’isolement dans un
hôtel, et qui avait contaminé le personnel, puis la région tout entière. « Pour
être efficaces, les quarantaines doivent être effectuées avec rigueur et les
contrôles être dissuasifs », avance l’épidémiologiste.
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